Charlemagne (Carolus Magnus en latin, Karl der Große en allemand) est aussi appelé « Le Grand » ou Charles Ier - ne pas confondre avec le roi d’Angleterre décapité en 1649 !
Personnage historique à divers titres, c’est le plus célèbre des Carolingiens, dynastie médiévale qui lui doit son nom, succédant aux Mérovingiens et précédant les Capétiens – dont les descendants vont régner sur la France jusqu’à Louis XVI.
Promu roi des Francs en 768 à la mort de son père Pépin le Bref, couronné empereur par le pape à Rome en 800 (date mémorielle), il meurt en 814 à Aix-la-Chapelle (Allemagne).
Ce long règne est marqué par des conquêtes qui agrandissent son royaume bien au-delà de la France. Tout aussi remarquables, les progrès culturels que ce monarque éclairé promeut personnellement comme en témoignent les chroniqueurs contemporains, les historiens parlant d’une « Renaissance carolingienne » au cœur du Moyen Âge.
La postérité territoriale de cet empire sera de courte durée, mais Charlemagne marque l’Histoire et hante les mémoires. Véritable obsession pour Napoléon, il reste une référence pour l’Union européenne au XXe siècle, cependant que les Français et les Allemands se disputent ce grand homme intégré à leur récit (ou roman) national.
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1. Un personnage qui s’impose aux contemporains.
« Il respirait dans toute sa personne, soit qu’il fût assis ou debout, un air de grandeur et de dignité. »63
ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)
« Ayant formé le projet d’écrire la vie, l’histoire privée et la plupart des actions du maître qui daigna me nourrir, le roi Charles, le plus excellent et le plus justement fameux des princes, je l’ai exécuté en aussi peu de mots que je l’ai pu faire ; j’ai mis tous mes soins à ne rien omettre des choses parvenues à ma connaissance, et à ne point rebuter par la prolixité les esprits qui rejettent avec dédain tous les écrits nouveaux. »
Ainsi commence la préface de cette biographie en deux parties : les guerres menées par Charlemagne ; le portrait de l’empereur, la vie à la cour, son testament. Voici un très précieux document, contemporain des faits et gestes relatés.
Secrétaire et ministre de Charlemagne, Éginhard nous décrit dans sa Vita Caroli magni imperatoris l’illustre Carolingien « gros, robuste, d’une taille élevée mais bien proportionnée […] les yeux grands et vifs, le nez un peu long, une belle chevelure blanche, une physionomie avenante et agréable ». Cette personnalité de tout premier plan impressionne tous ceux qui l’approchent : la légende de Charlemagne est véritablement née de son vivant.
Deux détails importants : sa taille réellement imposante pour l’époque, 1m 90… et sa « belle chevelure blanche » qui donnera lieu à la fausse légende de la « barbe fleurie ».
« Il savait résister à l’adversité et éviter, quand la fortune lui souriait, de céder à ses séductions. »64
ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)
Le portrait moral du héros ne le cède en rien au portrait physique. Il paraît avoir méprisé au quotidien le luxe des vêtements, si l’on en juge par le témoignage du moine de Saint-Gall qui nous a laissé une vie de Charlemagne (De gestis Caroli Magni). À des invités vêtus de soie, trempés par la pluie, il dit : « Insensés, quel est maintenant le plus précieux et le plus utile de nos habits ? Est-ce le mien que je n’ai acheté qu’un sou, ou les vôtres qui vous ont coûté des livres pesant d’argent ? »
Mêlés à ces qualités (encore à suivre), signalons des défauts pas relevés par les chroniqueurs du temps, mais inhérents à sa fonction et pas choquants pour l’époque : son autoritarisme allant jusqu’au despotisme, sa propension à la violence allant jusqu’à la cruauté dans les guerres (massacres, déportations). Sa virilité précoce, ses quatre épouses, ses nombreuses concubines et ses multiples enfants ne choquèrent même pas l’Église.
Au total, une personnalité de premier plan, capable de produire une impression considérable sur tous ceux qui l’approchaient, ce qui permet de comprendre que la légende se soit emparée de Charlemagne de son vivant. D’autres qualités nous le rendent le personnage encore plus attachant.
« Passionné pour la science, il eut toujours en vénération et comblait de toutes sortes d’honneurs ceux qui l’enseignaient. »65
ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)
Charlemagne mènera une véritable politique culturelle, au point que l’on voit en son siècle une « Renaissance carolingienne ». Lui-même est fort savant, quoique autodidacte, ayant appris la rhétorique, la dialectique, le grec, le latin, l’astronomie. Il composera même une grammaire de la langue franque.
Se fondant sur une remarque d’Éginhard, mal traduite (du latin) et mal comprise, certains vulgarisateurs ont prétendu que Charlemagne « savait à peine écrire ». En réalité, cette remarque signifie que même à un âge avancé (il mourut à 71 ans, équivalent actuel d’un octo ou nonagénaire ), l’empereur s’exerçait à la calligraphie, pour atteindre cette perfection propre aux scribes avec lesquels il ne put cependant rivaliser.
« J’aimais justement en vous ce que je vous voyais chercher en moi. »66
ALCUIN (vers 735-804), Derniers mots d’une lettre à Charlemagne. Alcuin et Charlemagne (1864), Francis Monnier
Moine anglais originaire de Northumbrie, il est considéré par Éginhard (biographe contemporain de l’empereur) comme l’« homme le plus savant de son temps ». Charles (qui n’est encore que roi des Francs) le place en 782 à la tête de l’école « palatine » - appartenant au palais d’Aix-la-Chapelle. Notons en passant qu’il choisit comme principale résidence cette ville allemande pour ses sources thermales réputées soigner les rhumatismes dont il souffre.
Véritable maître à penser du monde franc, Alcuin promeut l’enseignement des arts libéraux et les ateliers de copies, permettant la diffusion des textes sacrés et profanes – bien avant l’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1450 (à Mayence). Il laisse de nombreux traités de pédagogie et de théologie, ainsi qu’une version de la Bible révisée.
« Ne nous laissons pas engourdir dans un repos qui nous mènerait à la paresse. »67
CHARLEMAGNE (742-814). De gestis Caroli Magni, moine de Saint-Gall
L’empereur est avant tout un homme d’action, comme en témoigne le mot que ce biographe anonyme met dans sa bouche. C’est au sortir de la messe, un dimanche, alors qu’il se trouve à Aquilée, en Italie, qu’il invite ainsi ses courtisans parés de beaux atours (qu’il n’apprécie guère) à le suivre sans plus tarder à la chasse.
Charlemagne sera surtout un guerrier sans cesse en campagne (jusqu’en 800, où ses fils le relaient souvent), doublé d’un remarquable organisateur militaire et d’un grand politique.
« Les royaumes sans la justice ne sont que des entreprises de brigandage. »69
CHARLEMAGNE (742-814) faisait sienne cette formule de saint Augustin. Charlemagne et l’empire carolingien (1995), Louis Halphen
Saint Augustin est un philosophe et théologien chrétien né quatre siècles plus tôt et qui aura un grand avenir auprès des chrétiens. Charlemagne est lui-même un chrétien sincère et très assidu à la pratique religieuse sous toutes ses formes. D’après Éginhard : « Si le comte du Palais lui signalait un procès qui réclamait une décision de sa part, il faisait aussitôt introduire les plaideurs et, comme s’il eut été au tribunal, écoutait l’exposé de l’affaire et prononçait la sentence. » On croirait presque voir Louis IX, futur Saint Louis.
« Si la population savait avec quelle idiotie elle était gouvernée, elle se révolterait. »
Clotilde BRUNEAU (née en 1987) en collaboration avec l’historienne Geneviève Bührer-Thierry, Ils ont fait l’Histoire, tome 3 : Charlemagne
On ne prête qu’aux riches et beaucoup d’autres citations malheureusement non sourcées circulent, presque trop belles pour être tout à fait vraies, bien que conformes à l’esprit du personnage : « Parler une autre langue, c’est avoir une autre âme. » « Une action juste vaut mieux que la connaissance. mais pour faire ce qui est juste, il faut connaître ce qui est juste. » « Les herbes sont l’ami du médecin et la fierté des cuisiniers. »
2. Chronique d’un règne guerrier, conforme aux normes du temps.
« Les soixante ans de guerre, qui remplissent les règnes de Pépin et de Charlemagne, offrent peu de victoires, mais des ravages réguliers, périodiques ; ils usaient leurs ennemis plutôt qu’ils ne les domptaient, ils brisaient à la longue leur fougue et leur élan. »87
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
C’est parfaitement résumer la manière dont les deux premiers Carolingiens, Pépin le Bref, fils de Charles Martel puissant maire du palais, et son fils Charles, futur empereur Charlemagne, vont se tailler l’un des plus grands empires qu’ait connu l’Europe. C’est surtout à ce titre qu’il entre dans l’Histoire et reste toujours d’actualité, de même que dans la mémoire collective.
« Les Francs ayant fait solennellement une assemblée générale, les prirent tous deux pour rois, à cette condition qu’ils partageraient également tout le corps du royaume. »91
ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)
À la mort de Pépin le Bref (24 septembre 768), le royaume est non pas réellement partagé, mais donné en héritage à ses deux fils, Carloman et Charles, le futur Charlemagne. Il n’y a qu’une seule administration centrale, le royaume étant cependant divisé en deux apanages pour la perception des taxes. À la mort de Carloman (4 décembre 771), Charles régnera seul.
« Vainqueurs, vaincus, ils faisaient des déserts et dans ces déserts, ils élevaient quelques places fortes, et ils poussaient plus loin, car on commençait à bâtir. »68
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
Irrésistible avancée de Charlemagne et ses hommes, succédant en cela à son père Pépin le Bref, occupant, matant, soumettant, massacrant, déportant, en un mot conquérant : Saxe et Bavière, Armorique (Bretagne) et Normandie, avec des expéditions en Espagne et en Italie.
Comme l’écrit son biographe anonyme (moine de Saint-Gall, De gestis Caroli Magni), c’est « le glorieux Charles, capable d’écraser par les armes ceux que le raisonnement ne pouvait dompter, et de les contraindre bon gré mal gré à faire leur salut ».
« Du temps de Charlemagne, on était obligé, sous de grandes peines, de se rendre à la convocation pour quelque guerre que ce fût. »58
MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)
Cette remarque se fonde sur une lettre de Charlemagne à l’abbé de Saint-Quentin : « Tu te présenteras [au lieu de rendez-vous] avec eux [ses hommes], prêt à entrer en campagne dans la direction que j’indiquerai avec armes, bagages et tout le fourniment de guerre en vivres et vêtements ».
Après un siècle de décadence dynastique, ce fut d’abord le « coup de force » de Pépin le Bref, maire du palais élu roi par les Grands du royaume et sacré par les évêques ; puis le règne de Charles le Grand, devenu l’empereur Charlemagne. Le cours de l’histoire change véritablement.
« Pendant plusieurs siècles, l’histoire n’est qu’un chaos dégoûtant qui à peine mérite d’être connu. Cette époque ténébreuse ne fournit rien non plus ni en morale ni en belles-lettres. C’est un désert qu’il faut traverser pour arriver au règne de Charlemagne, où notre histoire moderne reprend quelque intérêt. »
Choderlos de LACLOS (1741-1803), Traité sur l’éducation des femmes (posthume, 1903)
L’auteur des fameuses et scandaleuses Liaisons dangereuses se fait historien au Siècle des Lumières - réputé pour son rayonnement culturel, mais peu doué pour ses prouesses militaires. Ainsi fait-il indirectement l’éloge de ce qu’on appellera la Renaissance carolingienne, incontestable progrès portée à l’actif de Charlemagne.
« Quand vous verrez la campagne se hérisser comme d’une moisson de lances, quand les flots assombris du Pô et du Tessin, ne réfléchissant plus que le fer des armes, auront jeté autour des remparts de nouveaux torrents d’hommes couverts de fer, alors vous reconnaîtrez que Charles est proche. »92
Duc OTKZE (VIIIe siècle), à Desiderius, roi des Lombards, 773. De gestis Caroli Magni, moine de Saint-Gall
Biographe anonyme de Charlemagne, le moine de Saint-Gall trouve un ton shakespearien pour donner à voir la puissance de Charles et de ses troupes partant à la conquête de la Lombardie ! Le plus illustre des rois carolingiens méritera son nom de Charles le Grand ou Charlemagne, empereur un quart de siècle plus tard (en 800).
« Les derniers corps de l’armée royale furent massacrés dans ce passage des Pyrénées. Je n’ai pas à rapporter le nom des morts, ils sont assez connus. »93
L’Astronome du Limousin, biographe anonyme de Louis le Débonnaire. Charlemagne (1877), Alphonse-Anatole Vétault, Léon Gautier
L’Astronome narre ici la destruction de l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne, attaquée dans le défilé de Roncevaux par les montagnards vascons (basques), alors que le souverain rentrait d’une campagne contre les Maures en Espagne, le 15 août 778.
Éginhard, fidèle biographe contemporain de Charlemagne, donne plus de détails avec quelques noms de chefs francs : « Là périrent, entre autres, Éginhard, sénéchal du roi, Anselme, comte du palais, et Rothland [Roland], gouverneur de la marche de Bretagne. » Selon les sources qui divergent, les Francs se battent ici contre une milice basque et/ou contre les Sarrasins.
« Ce revers ne put être vengé sur-le-champ, parce que les ennemis, le coup fait, se dispersèrent si bien que nul ne put savoir en quel coin du monde il eut fallu les chercher. »94
ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)
Autre allusion au célèbre massacre de Roncevaux : cette défaite sera transformée en haut fait d’armes, par un de ces miracles dont l’histoire littéraire ne nous livre pas le secret.
« La Chanson de Roland […] est le plus ancien monument de notre nationalité […] Ce n’est pas seulement la poésie française qu’on voit naître avec ce poème. C’est la France elle-même. »95
Louis PETIT de JULLEVILLE (1841-1900), l’un des traducteurs de la Chanson de Roland (anonyme)
L’escarmouche entre les Vascons (Basques) et l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne va donner naissance, trois siècles et demi plus tard, à la première chanson de geste en (vieux) français, poème épique de quelque 4 000 vers maintes fois traduits et célèbre bien au-delà de la France.
Passage héroïque, celui où le preux Roland refuse de sonner du cor, ce que lui conseille le sage Olivier, préférant se battre et risquer la mort, plutôt que d’alerter Charlemagne et de trouver le déshonneur. « Olivier dit : « Les païens viennent en force, / Et nos Français, il me semble qu’ils sont bien peu. / Roland, mon compagnon, sonnez donc votre cor : / Charles l’entendra et l’armée reviendra. » / Roland répond : « Ce serait une folie ! / En douce France j’en perdrais ma gloire. / Aussitôt, de Durendal, je frapperai de grands coups ; / Sa lame en saignera jusqu’à la garde d’or. / Les païens félons ont eu tort de venir aux cols : / Je vous le jure, tous sont condamnés à mort. » »
Mais Roland va périr avec son compagnon et toute l’arrière-garde des Francs. Charlemagne le vengera en battant les païens (Sarrasins) avec l’aide de Dieu. Le traître Gamelon, beau-frère de Charlemagne et beau-père de Roland qui a organisé le guet-apens par jalousie, sera jugé, condamné à mort et supplicié.
« Si, dans l’avenir, un membre de la nation saxonne demeure non baptisé, se cache et refuse le baptême, voulant rester païen, qu’il soit puni de mort. »96
CHARLEMAGNE (742-814), Premier capitulaire saxon (782). Les Sociétés en Europe, du milieu du VIe à la fin du IXe siècle (2003), Alain Stoclet
Parti en guerre contre les Saxons restés « païens » (non chrétiens), il marche jusqu’à la Weser où il porte les limites de son royaume, obligeant ensuite les vaincus à se convertir à la pointe de l’épée.
Les termes de cette ordonnance témoignent d’une volonté farouche d’imposer sa religion au reste du monde. Dans le cadre de l’alliance de Charlemagne avec la papauté qui l’aide à établir sa domination sur l’Occident, l’évangélisation devient à la fois le but de ses conquêtes et un moyen de les consolider. Guerre et religion se retrouvent associées au Moyen Âge plus qu’en tout autre époque, dans l’histoire de France. Mais les guerres de religion se perpétuent jusqu’à nos jours avec l’Islam qui semble avoir pris en cela le relais du christianisme, avec le concept musulman de djihad (guerre sainte).
« Si quelqu’un viole le saint jeûne de carême par mépris pour la religion chrétienne et mange de la viande, qu’il soit puni de mort. »97
CHARLEMAGNE (742-814), Premier capitulaire saxon (782). Capitulatio de partibus Saxoniae (vers 785)
La prescription est cependant modérée par ce codicille : « Les prêtres examineront pourtant s’il n’y a point été forcé par un motif de nécessité. »
« À cette époque [vers 790], la supériorité de gloire dont brillait Charles avait amené les Gaulois et les Aquitains, les Aeduens [Burgondes] et les Espagnols, les Allemands et les Bavarois à se glorifier, comme d’une grande distinction, de porter le nom de sujets des Francs. »98
NOTKER de Saint-Gall (vers 840-912), Vie de Charlemagne
Le drame de Roncevaux n’avait été qu’une défaite sans lendemain (sans doute peu connue à l’époque) et l’empire de Charlemagne ne cessait de s’étendre. Charlemagne a soumis les Bretons, les Saxons, les Bavarois, ses armées occupent le nord de l’Espagne et le nord de l’Italie. Du royaume dont il hérita, il a fait un empire.
L’auteur de cette biographie, Notker dit le Bègue, moine bénédictin à l’abbaye de Saint-Gall en Suisse, ne doit sans doute pas être confondu avec le « moine de Saint-Gall », anonyme et paradoxalement plus connu, puisque plus souvent cité. Dans son Histoire de France, François Guizot (homme politique du XIXe siècle) disserte de cette question aujourd’hui encore non résolue.
« Sachez bien quelle est notre ordonnance au sujet des deniers, qu’en tout lieu, dans toute cité, ainsi que dans tout marché, les nouveaux deniers aient cours et qu’ils soient perçus par chacun, pourvu qu’ils portent la marque de notre nom et qu’ils soient d’argent pur et de plein poids. »99
CHARLEMAGNE (742-814), Capitulaire de 794. Charlemagne (1877), Alphonse Vétault, Léon Gautier
Dès 781, le futur Charlemagne entreprit une réforme monétaire pour généraliser l’emploi de la monnaie royale dont il garantissait la qualité (teneur en métal précieux). En 794, il promulgue une ordonnance qui se poursuit ainsi : « Si quelqu’un refuse [les pièces royales] dans un lieu ou une transaction d’achat ou de vente, l’homme libre nous paiera une amende de quinze sous ; l’esclave, s’il agit pour lui, perdra l’objet de la transaction ou sera fouetté nu en public… »
« Ayez le Franc pour ami, mais non pour voisin. »100
Proverbe grec (byzantin). Histoire de France, volume I (1861), Jules Michelet
Charlemagne et son armée progressent si rapidement vers l’Est que les Byzantins feront de cette expression un proverbe. C’est dire la crainte que peut inspirer un si grand souverain !
Le conquérant a certes des relations avec Byzance et notamment avec le puissant califat d’Haroun al-Rachid (célèbre par les contes des Mille et Une Nuits). Mais en réalité, jamais Charlemagne ne porta si loin ses armes. C’est plus tard que les récits épiques français et italiens le feront guerroyer aux limites du monde connu. Ainsi se forme la légende. D’autres grands souverains comme Louis XIV et Napoléon en bénéficièrent aussi, mais étant plus près de nous dans la chronologie, les historiens ont pu rétablir la vérité d’une histoire de mieux en mieux documentée.
« À Charles Auguste couronné par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! »101
Acclamations en l’honneur de Charlemagne, 25 décembre 800. Encyclopædia Universalis, article « Charlemagne »
La grandiose cérémonie est relatée dans les Annales royales, équivalent sous les Francs de nos Archives nationales.
Au sommet de sa gloire et de sa puissance, voilà Charlemagne couronné empereur auguste dans la basilique Saint-Pierre de Rome par le pape Léon III. C’est la renaissance de l’Empire romain, d’où naîtra la notion de Saint Empire romain germanique.
Alcuin, savant théologien, conseiller de Charlemagne et l’un de ses plus proches collaborateurs, salue en lui « un chef à l’ombre duquel le peuple chrétien repose dans la paix et qui, de toute part, inspire la terreur aux nations païennes, un guide dont la dévotion ne cesse, par sa fermeté évangélique, de fortifier la foi catholique contre les sectateurs de l’hérésie ».
Apothéose personnelle de Charlemagne, cet empire unifié par la langue (le latin), la religion, la justice et l’impôt sera éphémère. Disons déjà qu’en 814, si son fils Louis le Pieux lui succède et maintient le prestige et l’unité de l’empire carolingien, ses trois fils qui se partageront l’Empire vont bientôt se le disputer. D’où guerre, anarchie, misère.
« Nous n’avions vu encore que des hommes de terre, aujourd’hui nous en voyons d’or. »102
Ambassadeurs musulmans, Aix-la-Chapelle, fête de Pâques, 807. De gestis Caroli Magni, moine de Saint-Gall
Mots attribués par le fameux biographe anonyme de Charlemagne aux envoyés du calife de Bagdad. Ces ambassadeurs sont éblouis par la richesse de la cour et les somptueux vêtements de l’empereur qui sait se vêtir comme il se doit quand cela peut servir sa politique.
Plus important, le calife reconnaît les droits de Charlemagne sur les Lieux saints. Remis en question au fil des siècles par les Musulmans, ce sera l’origine des croisades, « guerre sainte » chrétienne pour récupérer le tombeau du Christ contre les hérétiques (païens), prêchée pour la première fois par le pape Urbain II en 1095.
« Prévoir, ordonner, disposer avec le plus grand soin sans se préoccuper d’autre chose que de la volonté de Dieu et de l’ordre du roi. »103
CHARLEMAGNE (742-814), Consignes à ses missi dominici. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
C’est l’une des institutions qui remonte à la précédente dynastie des Mérovingiens (du nom de Mérovée, roi et ancêtre semi-mythique de Clovis), mais Charlemagne va lui conférer toute sa force.
Ces missi (envoyés du maître) sont délégués dans les provinces pour surveiller la qualité de l’administration et surtout de la justice. Ils vont toujours par deux, un comte (compagnon du roi) et un évêque ou abbé (incarnation de l’Église). Ils se surveillent mutuellement - pour plus de prudence.
3. Renaissance carolingienne : mécénat culturel et réforme de l’école.
« Je savais le vif intérêt que vous portiez à la science et combien vous l’aimiez. Je savais que vous excitiez tout le monde à la connaître et que vous offriez des récompenses et des dignités à ceux qui l’aimaient comme vous, pour les engager à venir s’associer à votre généreuse entreprise. »
ALCUIN (vers 735-804), Derniers mots d’une lettre à Charlemagne
Rappelons que ce moine anglais est considéré par Éginhard (biographe contemporain de l’empereur) comme l’« homme le plus savant de son temps ». Il termine sa lettre en ces termes : « Vous avez bien voulu m’appeler, moi le moindre serviteur de cette science sainte, et me faire venir du fond de la [Grande-]Bretagne. Ah ! que n’ai-je apporté dans le service de Dieu autant d’empressement et de zèle que j’en ai mis à vous seconder ! C’est que j’aimais justement en vous ce que je vous voyais chercher en moi. »
« Doué d’une éloquence abondante et inépuisable, [Charles] exprimait avec clarté tout ce qu’il voulait dire. Peu content de savoir sa langue maternelle, il s’appliqua aussi à l’étude des autres idiomes, et particulièrement du latin qu’il apprit assez bien pour le parler comme sa propre langue. Quant au grec, il le comprenait mieux qu’il ne le prononçait. En somme il possédait si bien l’art de la parole qu’il paraissait même capable de le professer. »
ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)
Dans le cadre de son mécénat culturel très actif à la cour de son palais d’Aix-la-Chapelle en Rhénanie, le futur Charlemagne s’attache à développer tout particulièrement sa langue maternelle, le francique : il commande une grammaire et donne des noms germaniques aux douze mois et douze principaux vents.
Son biographe (ami, secrétaire et ministre) présente un prince passionné par les études et les sept arts libéraux - Grammaire, Rhétorique, Logique, Arithmétique, Géométrie, Astronomie, Musique. Hérités de l’Antiquité, ils désignaient l’ensemble des savoirs que tout homme réputé « libre » se devait de connaître.
« Passionné pour les arts libéraux, il combla d’honneurs ceux qui les enseignaient. Le diacre Pierre de Pise lui donna des leçons de grammaire. Il eut pour maître dans les autres sciences un autre diacre, Albin, surnommé Alcuin, né en Bretagne et d’origine saxonne, l’homme le plus savant de son époque. Le roi consacrait beaucoup de temps et de travail à étudier avec lui la rhétorique, la dialectique et l’astronomie. Il apprit le calcul et mit tous ses soins à étudier le cours des astres. Il essaya aussi d’écrire, il avait toujours sous le chevet de son lit des feuilles et des tablettes pour accoutumer sa main à tracer des caractères quand il en avait le temps. Mais il réussit peu dans ce travail qui n’était plus de son âge et qu’il avait commencé trop tard. » De fait, la calligraphie est tout un art. D’où la légende erronée d’un roi qui ne savait pas écrire au sens où l’on parle aujourd’hui d’un analphabète !
« Que les prêtres attirent vers eux non seulement les enfants de condition servile, mais aussi les fils d’hommes libres. Nous voulons que des écoles soient créées pour apprendre à lire aux enfants. Dans tous les monastères et les évêchés, enseignez les Psaumes, les notes, le chant, le comput, la grammaire… ».
CHARLEMAGNE (742-814), capitulaire de 789 (chapitre 72 consacré aux écoles)
C’est l’autre aspect capital et surtout innovant de sa politique culturelle : la réforme (sinon la création) de l’école.
Charles sait le manque d’instruction d’une grande partie du clergé, de même que le besoin de formation pour ses nouvelles élites administratives, les missi dominici (inspecteurs royaux délégués en province). Sa politique scolaire reprend la tradition culturelle des empereurs romains.
Il veut une école ouverte dans chaque évêché ou monastère, pour apprendre aux enfants à lire, compter, chanter, mais aussi connaître la grammaire latine et les « notes » (forme de sténographie pour les apprentis fonctionnaires). Il veut aussi que la rédaction des livres soit l’objet d’une attention particulière et bénéficie de scribes compétents, usant de la nouvelle écriture dite « minuscule caroline » en l’honneur de l’empereur.
« Soyez félicités, mes enfants, car vous vous êtes efforcés de suivre au mieux mes prescriptions et votre intérêt. Travaillez donc désormais pour atteindre la perfection, et je vous donnerai des évêchés et de magnifiques monastères, et vous serez toujours honorables à mes yeux. »
CHARLEMAGNE (742-814), anecdote rapportée par Notker de Saint-Gall, Gesta Karoli Magni
Cette citation doit être mise en scène, ainsi que l’a voulu l’empereur. « Quand le très victorieux Charles revint en Gaule après une longue absence, il ordonna aux jeunes gens qu’il avait confiés au maître irlandais Clément de paraître devant lui et de lui présenter leurs textes et leurs chants. » Les passant ainsi en revue, il va distribuer félicitations et remontrances. Il trouve beaucoup de qualités aux devoirs des garçons d’origine pauvre ou modeste. Mais ceux des plus nobles ne révèlent que de banales sottises et il les foudroie de sa colère : « Vous, fils de l’élite, vous, délicats et beaux, vous vous reposez sur votre naissance et vos biens, sacrifiant à mes ordres et à votre propre gloire, négligeant l’étude des lettres, cédant à l’attrait du luxe et de l’oisiveté ou aux occupations frivoles. »
Cette anecdote rappelle le Jugement dernier, conférant un aspect mythique à la politique scolaire dispensée dans l’école « palatine » (au palais carolingien), élément essentiel de la politique culturelle de Charlemagne.
« Charles, savant, modeste, […] maître du monde, bien-aimé du peuple […], sommet de l’Europe […] est en train de tracer les murs de la Rome nouvelle. »70
ANGILBERT (vers 740-814) parlant de Charlemagne en 799. Encyclopædia Universalis, article « Europe »
Poète et historien, ministre, conseiller et ami de Charlemagne, Angilbert épousera en secret sa sœur Berthe (sa fille selon d’autres sources) et se retirera dans un monastère où elle le suivra. Il finira saint. C’est l’un des principaux acteurs de cette Renaissance carolingienne.
À cette époque, la « Rome nouvelle » désigne l’Empire d’Occident reconstitué, soit en gros ce qui deviendra bien plus tard les six premiers pays du Marché commun, ancêtre de l’Union européenne.
Charlemagne, béni et sacré par le pape en 800, exerce sur ce vaste territoire une influence personnelle en tout domaine. Cependant, son empire ne restaure qu’en apparence l’Empire romain. Gouverné d’Aix-la-Chapelle en Rhénanie, hétérogène, mais avant tout franc, c’est une entité politique appuyée sur le christianisme et sur l’équilibre des forces. La suite de l’Histoire montrera sa fragilité.
4. Postérités plurielles et paradoxales pour un mythe historique et populaire.
« Sous cette pierre repose le corps de Charles,
Grand et orthodoxe empereur, qui noblement
Accrut le royaume des Francs et pendant XLVII [47]
Années le gouverna heureusement.
Mort septuagénaire l’an du Seigneur DCCCXIV [814]. »104Inscription gravée sur la tombe de Charlemagne. Les Classiques de l’histoire de France au Moyen Âge (1923), Louis Halphen
Charlemagne meurt à 71 ans le 28 janvier 814, dans son palais d’Aix-la-Chapelle. Il est inhumé dans la chapelle palatine le jour même. L’embryon d’État qu’il a fondé en un demi-siècle disparaît peu après sa mort. De ses cendres va surgir la nouvelle société féodale.
De ses trois fils, l’aîné, Charles est mort l’année précédente et Pépin, roi d’Italie, en 810. Seul survivant, Louis le Pieux, son troisième fils, roi des Aquitains depuis 781, lui succède à la tête de l’Empire.
« Que chacun apprenne ici que celui qui commet la folie de négliger l’intérêt public et se livre en insensé à ses désirs personnels et égoïstes, offense par là à tel point le Créateur qu’il rend tous les éléments eux-mêmes contraires à son extravagance. »105
NITHARD (vers 800-vers 845), Histoire des fils de Louis le Pieux
Louis Ier dit le Pieux maintiendra l’unité et le prestige de l’empire carolingien. Mais à sa mort, ses trois fils, Charles II le Chauve, Louis le Germanique et Lothaire se partagent l’Empire et se battent pour le réunifier chacun à son profit. L’anarchie et la misère s’installent à la suite de ces guerres.
D’où la réflexion désabusée de Nithard, chroniqueur français du temps, lui-même petit-fils de Charlemagne – fils naturel de sa fille Berthe et du poète Angilbert, surnommé l’Homère de la cour.
Ce partage de l’empire carolingien est à l’origine des guerres entre Français et Allemands pour la possession de la Lotharingie, future Lorraine.
« Je secourrai ce mien frère Charles par mon aide. »106
Louis II le Germanique (vers 804-876), Serment de Strasbourg, 14 février 842. Histoire de Strasbourg, des origines à nos jours, volume II (1982), Georges Livet, Francis Rapp
« Si salvarai eo cist meon fradre Carlo » (dialecte dérivé du latin). Ce serment fonde l’alliance des deux frères cadets (petits-fils de Charlemagne et fils de Louis le Pieux) : Louis le Germanique et Charles le Chauve. Un serment équivalent est prononcé par Charles en faveur de Louis.
L’année suivante, les serments de Strasbourg aboutiront au traité de paix de Verdun, signé entre eux et leur frère aîné Lothaire, d’où un partage de l’empire en trois royaumes.
Pour que le traité soit compris de chaque peuple concerné, le latin est remplacé par les langues vulgaires – le roman, pour la partie occidentale de l’empire. Selon Michelet, « l’histoire de France commence avec la langue française. La langue est le signe principal d’une nationalité. Le premier monument de la nôtre est le serment dicté par Charles le Chauve à son frère, au traité de 843. »
« L’unité de l’Empire carolingien était rompue. De cette rupture, il allait mourir. »107
Jacques BAINVILLE (1879-1936), Histoire de France (1924)
Le traité de Verdun (843) sanctionne le démembrement de l’empire de Charlemagne, mais crée la France dont le premier roi est Charles le Chauve.
« Hélas ! où est-il cet empire qui s’était donné pour mission d’unir par la foi des races étrangères ? […] Il a perdu son honneur et son nom […] Au lieu d’un roi, il y a un roitelet ; au lieu d’un royaume, des fragments de royaume. »108
FLORUS de Lyon (??-vers 860), Querela de divisione imperii. Charlemagne, empereur et roi (1989), Georges Bordonove
Écrite par un diacre entre 840 et 860, cette complainte sur le démembrement de l’Empire après Louis Ier le Pieux reflète la nostalgie des élites intellectuelles devant la fin d’un empire qu’ils auraient voulu éternel.
Faire renaître l’Empire de Charlemagne sera le but plus ou moins avoué de Napoléon, de certains révolutionnaires et des Européens les plus ardents. En attendant, la France à peine née est fort malmenée !
« Les invasions des païens et les mauvais desseins des gens qui ne sont chrétiens que de nom détruisirent l’effet des capitulaires que Charlemagne avait faits pour maintenir l’ordre. »109
CHARLES le Chauve (823-877), vers 875. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Constatation désabusée du petit-fils de Charlemagne, peu avant sa mort : royaume ravagé par les Normands et les Sarrasins, désordres aquitains, révoltes bretonnes, brigandage généralisé. À quoi s’ajoute l’arrogance des Grands qui marque le début de la féodalité. À la fin du ixe siècle, conséquence de partages successoraux, guerres et sécessions, l’ancien Empire sera divisé en sept royaumes indépendants.
Mais après l’histoire factuelle qui finit presque toujours mal, la légende relance l’intérêt porté à telle ou telle époque ou personnage qui l’incarne. Cela vaut dès la Renaissance qui succède au Moyen Âge et dont François Ier est la vivante incarnation.
« Le soleil chauffe pour moi comme pour les autres et je désire fort voir le testament d’Adam pour savoir comment celui-ci avait partagé le monde. »473
FRANÇOIS Ier (1494-1547), Déclaration à Charles Quint en 1540. Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby
En Europe, les deux grands rivaux et voisins font trêve pour un temps. Charles Quint, perpétuel voyageur à travers ses États, se vante d’avoir un empire sur lequel « le soleil ne se couche jamais » et rêve de restaurer l’empire de Charlemagne – chose impossible avec la nouvelle géopolitique de la Renaissance et l’avènement des nations modernes.
François Ier de son côté a raté la couronne impériale qu’il briguait en 1519, à la mort de Maximilien Ier d’Autriche. Charles Quint l’avait emporté sans peine. Vingt ans après et toujours aussi ambitieux, notre roi de France refuse la ligne de partage du monde établie en 1493 par les Espagnols et les Portugais, confirmée en 1494 par une bulle du pape jouant les arbitres entre ces deux peuples conquérants et catholiques. Il veut profiter des richesses de l’Amérique découverte par Christophe Colomb à la fin du XVe siècle. C’est aussi une façon de s’opposer à l’hégémonie de Charles Quint devenu roi d’Espagne. François Ier encourage donc les marins français à se lancer dans de lointaines expéditions et les pilotes étrangers à « naviguer sur la mer commune » au service des armateurs français.
« Soyez comme un bon Prince amoureux de la gloire,
Et faites que de vous se remplisse une histoire,
Du temps victorieux, vous faisant immortel,
Comme Charles le Grand [Charlemagne] ou bien Charles Martel. »399Pierre de RONSARD (1524-1585), L’Institution pour l’adolescence du Roi (1562)
Rappelons que Charles Martel arrêta en 732 une armée arabe près de Poitiers. Puissant maire du palais, père de Pépin le Bref, il est donc le grand-père de Charlemagne dont la réputation s’affirme dès la fin du Moyen Âge sous la véritable Renaissance, en ce « beau XVIe siècle » qui précède les guerres de Religion.
Renonçant à la carrière des armes et à la diplomatie pour cause de surdité précoce, Ronsard devient le prince des poètes, puis le poète des princes, sans être jamais bassement courtisan. Sincèrement patriote, il élabore un art de gouverner à l’intention du roi Charles IX, alors âgé de 12 ans. Il mourra trop jeune pour manifester une ambition dont il était sans doute dépourvu. Celle de Napoléon semblait à l’inverse sans limite et la référence à Charlemagne inévitable, quoique déraisonnable.
« Je n’ai pas succédé à Louis XVI, mais à Charlemagne. »1799
NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Pie VII, le jour du sacre en la cathédrale Notre-Dame de Paris, 2 décembre 1804. Napoléon a dit (1996), Lucian Regenbogen, préface de Jean Tulard
À peine couronné empereur des Français par le pape, il dévoile sa véritable ambition, le titre d’empereur d’Occident à la tête du Grand Empire. Le 7 septembre, résidant précisément à Aix-la-Chapelle, il s’est recueilli devant le tombeau de Charlemagne, il a ordonné une procession solennelle avec tous les symboles impériaux (couronne, épée, main de justice, globe, éperons d’or). Quant au sacre impérial, il se joue à Paris, non pas à Reims, comme de tradition pour les rois de France.
Quant à dire la nature exacte de son ambition… c’est difficile, même si le fantôme de Charlemagne l’obsède. « Il ne rêvait certainement pas d’un empire unitaire, mais d’une confédération d’États : il parlera, un jour, des États-Unis d’Europe » (Louis Madelin, Histoire du Consulat et de l’Empire : vers l’empire d’Occident).
« Il faut que je fasse de tous les peuples de l’Europe un même peuple et de Paris la capitale du monde. »1849
NAPOLÉON Ier (1769-1821), fin 1810, à son ministre Fouché. Histoire du Consulat et de l’Empire (1974), Louis Madelin
Le rêve européen se précise, plus tenaillant que jamais. « Ma destinée n’est pas accomplie ; je veux achever ce qui n’est qu’ébauché ; il me faut un code européen, une Cour de cassation européenne, une même monnaie, les mêmes poids et mesures, les mêmes lois… »
Les historiens s’interrogent encore aujourd’hui : impérialiste à l’état pur et avide de conquêtes, patriote français voulant agrandir son pays ou unificateur de l’Europe en avance sur l’histoire ?
Napoléon s’identifie toujours à Charlemagne, mais le temps n’est plus à ce genre d’empire, les peuples sont devenus des nations, la Révolution de 1789 leur a parlé de Liberté.
Il invoque aussi un autre modèle impérial : « Les Romains donnaient leurs lois à leurs alliés ; pourquoi la France ne ferait-elle pas adopter les siennes ? » De fait, le Code Napoléon s’applique à tout l’Empire, depuis 1807. Et nombre de pays l’adopteront de leur plein gré.
« Messieurs, vous voulez me traiter comme si j’étais Louis le Débonnaire. Ne confondez pas le fils avec le père […] Moi, je suis Charlemagne. »1856
NAPOLÉON Ier (1769-1821), aux Pères conciliaires, 17 juin 1811. Le Pape et l’empereur, 1804-1815 (1905), Henri Welschinger
Scène décrite dans les Mémoires de Talleyrand, avec force détails et dialogues. La colère de l’empereur explose. Le concile qu’il voulait à sa botte s’est ouvert à Paris ce 17 juin. Et voilà que les Pères jurent, un par un, obéissance au pape, lequel refuse aux évêques son investiture, pourtant prévue par le concordat signé en 1801 - traité entre la République française et le Saint-Siège réglant les relations entre la France et l’Église catholique.
Il faut rappeler à quel point, en dix ans, les relations se sont envenimées entre les deux personnages ! Le pape a refusé de respecter le blocus, l’empereur a annexé les États de l’Église, le pape l’a excommunié, l’empereur l’a mis en prison – c’est L’Otage dans le drame signé Paul Claudel. Pie VII refuse tout « accommodement » aussi longtemps qu’il ne recouvrera pas sa liberté. Napoléon fait arrêter trois évêques et suspend le concile – qui reprendra début août.
« La Commission européenne de Bruxelles aime à invoquer la mémoire de Charlemagne, en qui elle voit son lointain précurseur. On fête à Bruxelles l’anniversaire du couronnement de l’empereur d’Occident, on donne son nom à des bâtiments, on rappelle qu’il a instauré une monnaie unique pour tout le continent, que sa capitale se situait non loin de Bruxelles, que ses lois avaient vocation à s’appliquer partout en Europe, et qu’il a laissé le souvenir d’un administrateur avisé qui assurait la paix dans l’Empire, ce dont aujourd’hui peut se flatter l’Union européenne. Avec Beethoven (pour son hymne) et Victor Hugo (pour ses plaidoyers enflammés en faveur des États-Unis d’Europe), Charlemagne est donc le grand-père de l’Europe unie. »
Dossier de Libération, 29 avril 2019
On peut disserter à l’infini sur des différences géopolitiques, alors même que la nature de l’Union européenne fait encore et toujours débat. Reste l’évidence incontournable de cette parenté historique. Il a structuré son royaume grâce à la religion (chrétienne) et la culture, l’instruction mais aussi l’économie.
Autre évidence, la popularité de ce nom qui se retrouve jusque dans la chanson.
« Qui a eu cette idée folle
Un jour d’inventer l’école
C’est ce sacré Charlemagne
Sacré Charlemagne ! »Robert GALL (1918-1990), père de France Gall et auteur du « tube » Sacré Charlemagne
La Troisième République qui a porté l’histoire au rang de science humaine fit de Charlemagne l’inventeur et le patron des écoles, répandant l’image de l’empereur visitant les établissements pour féliciter les bons écoliers.
Le trait est grossi et l’image fait partie du roman national – cette récupération de « Karl der Grosse » se retrouve aussi et à divers titres en Allemagne. Il n’en reste pas moins un fervent défenseur de l’éducation qu’il a réformée et développée avec un pragmatisme qui manque de nos jours.
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