Auteur passionné d’histoire dans tous ses romans et son théâtre, c’est aussi le grand acteur et témoin de son temps - sur le podium de l’Histoire en citations avec Napoléon et de Gaulle.
Incarnation du siècle romantique et politiquement engagé, il voue un culte à l’Empereur et contribue à sa légende. Célèbre à 30 ans, académicien à 39, élu député monarchiste puis républicain, orateur s’imposant à la tribune, il devient l’opposant numéro un au futur Napoléon III « le Petit ».
Exilé sous le Second Empire, de retour au premier jour de la Troisième République, Hugo jouit d’une popularité sans égale, habitant l’avenue rebaptisée à son nom et sitôt mort (à 83 ans) porté en triomphe au Panthéon, mais « dans le corbillard des pauvres » selon ses dernières volontés.
Sa vie privée est un roman riche de paradoxes : pater familias grand bourgeois, soucieux des convenances et jaloux de son autorité, il affiche sa liaison de cinquante ans avec Juliette Drouet. Il perd ses quatre enfants (dont Léopoldine noyée et Adèle H. devenue folle), mais cultive avec bonheur « l’Art d’être grand-père ». Force de la nature doué d’une prodigieuse puissance de travail (Hernani, drame en 5 actes et en vers écrit en 27 jours) et d’une perpétuelle faculté d’indignation, il jouit jusqu’à la fin d’un appétit sexuel hors norme, comparable à Picasso.
« Quel est selon vous le plus grand poète français ? » La réponse d’André Gide dépasse le cercle des poètes : « Hugo, hélas ! » Il reste l’auteur français le plus populaire devant Jules Verne, Zola et Pagnol. Servi par son génie du Verbe, c’est surtout son action politique qu’il nous faut rappeler.
Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.
1. « Ego Hugo » : devise d’un génie polymorphe et sûr de soi.
« Je veux être Chateaubriand ou rien »
Victor HUGO (1802-1885), Journal intime et Lettre de 1821
Dans l’un des carnets où il consignait déjà ses activités et ses pensées, le jeune Victor Hugo nota en date du 10 juillet 1816 : « Je veux être Chateaubriand ou rien ». Il a 14 ans. Fidèle à cette déclaration, il dépassera le maître du romantisme français. Mais il lui ressemble par son engagement politique le plus souvent dans l’opposition.
Autre souhait apparemment plus modeste : « être pour le moins Lamartine. » Ce poète au lyrisme passé de mode fut un modèle du romantisme. Plus imprévu : son engagement politique dans l’opposition à Louis-Philippe et son heure de gloire au début de la Deuxième République. Chef du gouvernement provisoire, affrontant la foule en armes, il lance avec un lyrisme hugolien : « Le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ! » Notons que Lamartine et Hugo furent deux véritable amis de quarante ans, chose rare dans les milieux politiques et artistiques.
« Il vient une certaine heure dans la vie où, l’horizon s’agrandissant sans cesse, un homme se sent trop petit pour continuer de parler en son nom. Il crée alors, poète, philosophe ou penseur, une figure dans laquelle il se personnifie et s’incarne. C’est encore l’homme, mais ce n’est plus le moi. »
Victor HUGO (1802-1885), Lettre évoquant Les Voix Intérieures (1837)
Homme d’action, Hugo est aussi philosophe de l’Histoire et de lui-même. L’introspection est évidente dans sa poésie, elle se fera bouleversante à l’heure des drames personnels, la mort de sa fille préférée Léopoldine à 19 ans et la folie d’Adèle lui faisant frôler des abimes dont il saura s’éloigner à force de travail, par le retour à l’action et la création.
« Je veux les peuples grands. Je veux les hommes libres. »
Victor HUGO (1802-1885), testament intellectuel, dédicace sur la plaque armoriée de sa maison natale à Besançon
Alexandrin hugolien dans le fond et la forme ! Toute sa vie relève de cette utopie, entre quelques autres également sincères chez cet homme habité par la foi – anticlérical entretenant avec Dieu et l’au-delà un lien passionnel et complexe.
« HUGO (Victor). A eu bien tort, vraiment, de s’occuper de Politique ! »
Gustave FLAUBERT (1821-1880), Le Dictionnaire des idées reçues (posthume, 1913)
Ce petit livre est une collection d’aphorismes et autres lieux communs propres à son époque que l’auteur méprise pour sa sottise, d’où ce bêtisier chic et choc, écrit entre 1850 et 1880, inachevé.
Impossible de ne pas citer en prime le mot du roi Louis-Philippe sous la Monarchie de Juillet, sérieusement irrité par son principal opposant Lamartine (confrère politique d’Hugo) : « Ne me parlez pas des poètes qui parlent de politique ! »
« Victor Hugo était un fou qui se croyait Victor Hugo. »
Jean COCTEAU (1889-1963), Collège Victor Hugo
On reconnaît le style du poète aux antipodes de son illustre confrère. Un siècle les sépare, mais surtout leur style. Rappelons le dandysme de Cocteau, homosexuel déclaré, touche à tout (également génial), jamais engagé politiquement ni artistiquement. Mais la folie de se prendre pour soi n’est pas si étrange ni étrangère au « cas Cocteau » et au jeu de miroir qu’il pratiqua toute sa vie… un jeu passionné malgré tout aux antipodes de l’engagement.
L’œuvre hugolienne, essentiellement romanesque et théâtrale, s’étend à bien d’autres domaines : écrits et discours politiques, récits de voyages, recueils de notes et de mémoires, commentaires littéraires, correspondance abondante, près de quatre mille dessins à l’encre originaux, inspirés à la limite du fantastique, décors intérieurs et meubles (conçus durant son long exil et pour divers lieux entre Jersey et Guernesey), photographie, cet art nouveau qui fascine ses contemporains et qu’il pratique avec son fils Charles à Guernesey, face à la mer. Un siècle plus tard, il se serait lancé dans l’audiovisuel, le numérique, le métavers… et toutes les folles révolutions technologiques à venir.
« Hugo, Hélas ! »
André GIDE (1869-1951), titre d’un recueil de textes édité en 2002
Cette formule lapidaire et ambiguë a fait le tour des lettres françaises, recevant l’aval des plus grands et s’imposant bientôt comme LA réponse à la question : « Quel est selon vous le plus grand poète français ? » Par deux fois, dans les années trente puis tout à la fin de sa vie, Gide jugea nécessaire de revenir sur son énigmatique déclaration en des textes restés inachevés et inédits, témoignant d’un embarras honnête et irréductible… Hugo restant cette figure paternelle, tyrannique, caricaturale, mais indétrônable d’un Panthéon littéraire qu’il convient d’ébranler quelque peu. D’autres s’en sont chargés de son vivant.
« Hugo a du grossier et du naïf (je l’ai dit souvent, et je le redis ici d’après une personne qui le connaît encore mieux que moi). Juliette [Drouet] vieillie le garde par ses flatteries basses auxquelles il est pris. L’acteur Frédérick [Lemaître] l’avait dit dès le premier jour : Elle le prendra en lui disant : Tu es grand ! Et elle le gardera en lui disant : Tu es beau ! Il y va chaque jour parce qu’il a besoin de s’entendre dire : Tu rayonnes, et elle le lui dit. Elle le lui écrit jusque dans ses comptes de cuisine qu’elle lui soumet (car avec cela il est ladre)… »
SAINTE-BEUVE (1804-1869), Mes Poisons, Cahiers intimes (posthumes, 1926)
Le plus fameux critique littéraire du XIXe siècle n’a pas volé ses surnoms de Sainte-Bave, Sainte-Bévue, serpent à sonnettes. On pourrait dire aussi langue de vipère ! Il s’est souvent trompé, mais il a surtout trompé l’amitié qui le liait à Hugo… en le trompant avec sa femme Adèle (née Foucher).
Hugo fut jaloux et le bannit de son cercle – c’était dans son caractère d’homme possessif et de grand bourgeois. Il fut quand même beau joueur, le recevant à l’Académie française…
Hugo le critiqua finalement avec un certain humour distancié dans ses carnets (daté ici de 1876) : « Sainte-Beuve n’était pas poète et n’a jamais pu me le pardonner. »
« À mesure que j’avançais en âge, mon « hugolâtrie » grandissait, et chaque nouvelle œuvre du poète, attendue avec impatience, était dévorée dès son apparition. Si j’entendais autour de moi grincer d’irritantes critiques, je me réconfortais en causant avec Berlioz, qui voulait bien m’honorer de son amitié et dont l’admiration pour Hugo égalait la mienne. »
Camille SAINT-SAËNS (1835-1921), Regards sur mes contemporains (posthume, 1990)
Pianiste, organiste et compositeur de l’époque romantique, il reste surtout pour sa fantaisie instrumentale, le Carnaval des animaux et l’un de ses douze opéras, Samson et Dalila (1877). Il fut aussi le premier compositeur connu pour une musique de film (muet). Admirateur d’Hugo poète, il écrivit plusieurs musiques sur ses vers et finit par lui ressembler l’âge venu, avec sa barbe blanche – certes très Troisième République.
Quant à Berlioz, chef d’orchestre admiré, compositeur romantique passionnant et controversé (surtout dans ses œuvres scéniques), son « hugolâtrie » est d’autant plus remarquable qu’il sut ne pas haïr un confrère artistique à la réussite insolente.
Le culte autour du personnage d’Hugo débuta en 1830 avec « la bataille d’Hernani » et l’armée des fameux Gilets rouges venue défendre ce nouveau théâtre littéralement révolutionnaire pour l’époque. Le nombre des admirateurs ne cessa de grandir : pour l’homme et pour l’œuvre, indissolublement liés comme en témoigne cet auto portrait prophétique et digne d’Ego Hugo : « L’ensemble de mon œuvre fera un jour un tout indivisible […] Un livre multiple résumant un siècle, voilà ce que je laisserai derrière moi. » Lettre de 1859 à l’éditeur Jules Hetzel.
2. Le meilleur conteur de l’Histoire en citations : la Révolution prend vie et âme en quelques mots.
« Pour que la Révolution soit, il ne suffit pas que Montesquieu la présente, que Diderot la prêche, que Beaumarchais l’annonce, que Condorcet la calcule, qu’Arouet la prépare, que Rousseau la prémédite ; il faut que Danton l’ose. »1289
Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)
Danton, un nom parmi d’autres révolutionnaires célèbres. Plus qu’aucune autre période de notre histoire, la Révolution crée ses propres héros. Aussi vrai que « les hommes ne manquent pas : les révolutions en découvrent toujours. » (Michel Debré, Ces princes qui nous gouvernent).
Vue par Hugo, notamment dans son roman Quatre-vingt-treize, la Révolution devient une épopée plus grande que nature avec des héros qui fascinent et/ou révulsent.
« Danton fut l’action dont Mirabeau avait été la parole. »1295
Victor HUGO (1802-1885), Quatre-vingt-treize (1874)
Juste partage du travail ! On appelait Danton « le Mirabeau de la populace ». Comme Mirabeau, c’est une « gueule », un personnage théâtral. Mais contrairement à Mirabeau, « Danton, comme Robespierre et Marat, est une création de la Révolution. Il jaillit de l’immense événement sans aucun préavis. » (Mona Ozouf).
« Les siècles finissent par avoir une poche de fiel. Cette poche crève. C’est Marat. »1301
Victor HUGO (1802-1885), Quatre-vingt-treize (1874)
Dans la galerie de portraits révolutionnaires, Marat est le méchant. Pas un ami de son vivant. Pas un historien pour en faire un héros. Pas un théoricien pour se dire « maratiste », comme on peut être dantoniste ou robespierriste. Marat fut pourtant l’« Ami du peuple » (titre de son journal), jouissant d’une incroyable popularité auprès des sans-culottes.
« Le correcteur d’épreuves de la Révolution, c’est Robespierre. Il revoyait tout, il rectifiait tout. »1307
Victor HUGO (1802-1885), Quatre-vingt-treize (1874)
Tout le contraire du génie de l’improvisation des Mirabeau et Danton. C’est un infatigable théoricien, comme son ami Saint-Just. Mais de la théorie à la (grande) Terreur, il n’y aura que quelques années. En attendant, que d’actions, d’élans et de retournements véritablement théâtraux, avec des répliques d’anthologie !
« ‘Allez dire à votre maître…’ Votre maître ! c ‘est le roi de France devenu étranger. C’est toute une frontière tracée entre le trône et le peuple. C’est la révolution qui laisse échapper son cri. Personne ne l’eut osé avant Mirabeau. Il n’appartient qu’aux grands hommes de prononcer les mots décisifs des grandes époques. »1321
Victor HUGO (1802-1885), Littérature et philosophie mêlées (1834)
Auteur dramatique célèbre depuis la « bataille d’Hernani » en 1830, Hugo a le sens du mot et ne peut que saluer l’auteur de cette réplique : « Allez dire à votre maître… » La postérité l’a rendue immortelle. L’iconographie de l’époque (gravures et tableaux contemporains) témoigne de la portée symbolique de cette scène – ce qu’on appellerait aujourd’hui son « impact médiatique ».
« En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe. Elle met le peuple en appétit. »1332
Victor HUGO (1802-1885), Le Dernier Jour d’un condamné (1829)
Le Dernier Jour d’un condamné est un roman à thèse au même titre que Claude Gueux (1834) , plaidoyers politiques pour l’abolition de la peine de mort, l’une des grandes causes humanitaires qui mobiliseront Hugo jusqu’à la fin.
Bilan du 14 juillet 1789 : une centaine de morts et un peu plus de blessés, essentiellement chez les assaillants (au nombre de 800 à 3 000, selon les sources). Mais Hugo a raison : le peuple est parti dans une escalade de la violence et les meneurs parlent toujours plus fort que les modérateurs.
Son illustre aîné qu’il prit pour modèle, Chateaubriand, 21 ans, réformé de l’armée, hésitant sur sa vocation, s’est essayé à la vie politique au début de l’année 1789, en participant aux États de Bretagne (assemblée provinciale). Il eut ensuite le « privilège » d’être présent à Paris le 14 juillet, très choqué par cette violence « cannibale » : « La Révolution m’aurait entraîné, si elle n’eût débuté par des crimes : je vis la première tête portée au bout d’une pique et je reculai. » Mémoires d’outre-tombe (posthume). Représentatif de sa classe, il écrit aussi : « Jamais le meurtre ne sera à mes yeux un objet d’admiration et un argument de liberté ; je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu’un terroriste. » Hugo devait penser de même, sachant distinguer le peuple de la « populace ».
Mais la tête « au bout d’une pique » est un classique de l’horreur révolutionnaire. La « première tête » peut être celle du gouverneur de la Bastille, de Launay, massacré par le peuple le 14 juillet, lors de la prise du fort.
« La Révolution leur criait : « Volontaires,
Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères ! »
Contents, ils disaient oui.
« Allez, mes vieux soldats, mes généraux imberbes ! »
Et l’on voyait marcher ces va-nu-pieds superbes
Sur le monde ébloui. »1452Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)
Le poète est en exil politique sous le Second Empire quand il écrit ces vers. Il oppose l’armée nationale et sa gloire immortelle à l’armée de métier réduite à de basses besognes politiques, notamment lors du coup d’État du 2 décembre 1851, fomenté par Louis-Napoléon Bonaparte pour rester au pouvoir et accéder l’année suivante au siège impérial.
L’historien Michelet, plus précis, n’est pas moins lyrique dans son Histoire de la Révolution : « Six cent mille volontaires inscrits veulent marcher à la frontière […] Ils restent tous marqués d’un signe qui les met à part dans l’histoire ; ce signe, cette formule, ce mot n’est autre que leur simple nom : Volontaires de 92. » Mal équipés, pas formés, ces jeunes viennent de toute la France pour répondre aux appels passionnés de la République. 400 000 pour l’été et l’automne 1792, 300 000 de plus en février 1793. Mais le volontariat ne sera pas éternellement suffisant et il faudra bien équiper ces « va-nu-pieds superbes ».
« Ô soldats de l’an deux ! ô guerres ! épopées !
Contre les rois tirant ensemble leurs épées […]
Contre toute l’Europe avec ses capitaines,
Avec ses fantassins couvrant au loin les plaines,
Avec ses cavaliers,
Tout entière debout comme une hydre vivante,
Ils chantaient, ils allaient, l’âme sans épouvante
Et les pieds sans souliers ! »1591Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)
Le poète a raison : de l’an II (1793-1794) date la réputation des Français comme redoutables soldats. L’armée nationale fait face victorieusement à la première coalition qui réunit Angleterre, Russie, Sardaigne, Espagne, royaume des Deux-Siciles et qui sera bientôt disloquée par les traités de Paris, Bâle, La Haye en 1795.
« Pays, Patrie, ces deux mots résument toute la guerre de Vendée, querelle de l’idée locale contre l’idée universelle, paysans contre patriotes. »1489
Victor HUGO (1802-1885), Quatre-vingt-treize (1874)
Dernier grand roman historique de l’auteur, situé en 1793, année charnière et riche en événements. Il met en scène trois personnages : un prêtre révolutionnaire, un aristocrate royaliste et vendéen, et son petit-neveu rallié à la Révolution. Ce choc des extrêmes rappelle la Commune (1871) et ses drames vécus par Hugo. Les guerres civiles se suivent et se ressemblent tragiquement.
« La Révolution française est le plus puissant pas du genre humain depuis l’avènement du Christ. »1631
Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)
Conscience politique de son siècle, homme de cœur et sensibilité de gauche, il aime d’autant plus la Révolution (et l’Empire) qu’il est déçu par les princes qui gouvernent au XIXe au siècle et par les révolutions qui l’agitent et avortent pour la plupart en Europe.
3. Ses passions de jeunesse : culte napoléonien et théâtre romantique, de la bataille d’Hernani à la chute des Burgraves.
« Ce siècle avait deux ans. Rome remplaçait Sparte.
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du Premier Consul déjà par maint endroit
Le front de l’empereur brisait le masque étroit. »1728Victor HUGO (1802-1885), Les Feuilles d’automne (1831)
1802. C’est aussi l’année de naissance du poète qui domine le siècle. Il vit déjà dans le culte impérial. Son père est général et comte d’Empire. Son frère aîné, Abel Hugo, fera une petite carrière d’écrivain et de critique littéraire. On lui doit une Histoire de l’empereur Napoléon (1834) - assurément le grand homme de la famille.
Chantre majeur de la légende napoléonienne, Hugo jouera à ce titre – et à bien d’autres – un vrai rôle politique dans notre histoire de France.
« Derrière un mamelon, la garde était massée.
La garde, espoir suprême, et suprême pensée […]
Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,
La garde impériale entra dans la fournaise. »1943Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments, L’Expiation (1853)
Napoléon engage contre l’anglais Wellington la Vieille Garde (l’élite, à côté de la Jeune et de la Moyenne Garde). À la tête de l’infanterie alliée, Wellington résiste à la cavalerie du général Kellermann (fils du héros de Valmy), tandis que le maréchal Ney cause de grosses pertes à l’ennemi.
La Garde décimée recule en ordre. Elle attend les secours de Grouchy, mais Grouchy ne peut empêcher la jonction des armées alliées. Et c’est Blücher qui arrive (feld-maréchal autrichien, âgé de 72 ans, surnommé Vorwärts, « En avant »). L’armée napoléonienne se débande pour la première fois. Seule la partie de la garde commandée par Cambronne tient encore les lignes.
« Un général anglais leur cria : Braves Français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde ! […] Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre. »1944
Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)
Le « mot de Cambronne » est passé à la postérité : anecdote rapportée par Hugo dans son roman, Sacha Guitry lui dédia une aimable comédie en un acte et en vers, titrée Le Mot de Cambronne (1937)
On ne prête qu’aux riches : Pierre Jacques Étienne, vicomte de Cambronne, fit un beau parcours militaire. Engagé parmi les volontaires de 1792, il participe aux campagnes de la Révolution et de l’Empire. Nommé major général de la garde impériale, il suit Napoléon à l’île d’Elbe, revient avec lui en 1815, est fait comte et pair de France sous les Cent-Jours et s’illustre à Waterloo, dans ce « dernier carré » de la Vieille Garde qui va résister jusqu’au bout. Conclusion hugolienne : « L’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne. » Roman ou récit national, ici les deux se confondent.
« Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! Morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons. »1947Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments, L’Expiation (1853)
Napoléon est finalement contraint d’ordonner la retraite : perte de 45 000 hommes (dont 30 000 Français). C’est une boucherie. Mais Waterloo est sans doute la bataille la plus commentée au monde, entre mythe, légende et réalité.
« Waterloo n’est point une bataille : c’est le changement de front de l’univers. »1949
Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)
Dans ce roman en dix volumes, Hugo brosse une vaste fresque historique, sociale, humaine et Waterloo demeure à jamais l’un des moments clés de l’histoire de la France.
« L’Angleterre prit l’aigle et l’Autriche l’aiglon. »1961
Victor HUGO (1802-1885), Les Chants du crépuscule (1835)
Les destins tragiques inspirent les poètes et entre tous, les grands romantiques du XIXe siècle.
Edmond Rostand, considéré comme le dernier de nos auteurs romantiques, est un peu le second père de l’Aiglon et fit beaucoup pour sa gloire, dans la pièce qui porte son nom. Le rôle-titre est créé en travesti par la star de la scène, Sarah Bernhardt (1900). À plus de 50 ans, elle triomphe en incarnant ce jeune prince mort à 21 ans de la tuberculose, ce mal du siècle.
« Tous deux sont morts. Seigneur, votre droite est terrible. »2079
Victor HUGO (1802-1885), Poème d’août 1832 (Napoléon II, Les Chants du crépuscule)
Rappelons que le père de l’Aiglon, Napoléon, est mort à 51 ans le 5 mai 1821, après cinq ans de captivité à Sainte-Hélène. La légende napoléonienne doit beaucoup au génie d’Hugo et à la comparaison inévitable avec le prochain maître de la France, Napoléon III le Petit. Il sera à l’origine du plus glorieux exil politique, pour lors inimaginable : Hugo près de vingt ans hors de France. En attendant, que d’événements politiques et artistiques…
« 25 février 1830 ! Cette date reste écrite dans le fond de notre passé en caractères flamboyants ; la date de la première ‹représentation d›« Hernani » ! Cette soirée décida de notre vie ! »
Théophile GAUTIER (1871-1872), Histoire du romantisme (1874)
Partisan actif des jeunes Romantiques, Théophile Gautier « l’homme au gilet rouge » se jeta dans la bataille d’Hernani tout feu tout flamme. Il la raconte dans un ouvrage publié bien après sa mort et consacré à son ami Victor Hugo : « On casse les vers et on les jette par la fenêtre », texte posthume publié en 1902.
« L’orchestre et le balcon étaient pavés de crânes académiques et classiques. Une rumeur d’orage grondait sourdement dans la salle ; il était temps que la toile se levât ; on en serait peut-être venu aux mains avant la pièce, tant l’animosité était grande de part et d’autre… » Renouvelant la lutte des anciens contre les modernes, les enjeux sont aussi bien politiques qu’artistiques et défraient la chronique, comme deux siècles avant la Querelle du Cid.
« Dans l’armée romantique comme dans l’armée d’Italie tout le monde était jeune. Les soldats pour la plupart n’avaient pas atteint leur majorité, et le plus vieux de la bande était le général en chef, âgé de vingt-huit ans. C’était l’âge de Bonaparte et de Victor Hugo à cette date. »
Théophile GAUTIER (1871-1872), Histoire du romantisme (1874)
On imagine mal aujourd’hui l’importance de certaines créations théâtrales, comparables de nos jours à un match de football au plus haut niveau. Mais les répétitions à la Comédie-Française furent déjà un long combat.
Mlle Mars, étoile de la troupe, joue Doña Sol, cette femme pour laquelle trois hommes se battent : Don Ruy Gomez da Siva, son vieil oncle sexagénaire ; le roi d’Espagne Don Carlos, bientôt Empereur du Saint Empire romain-germanique sous le nom de Charles Quint ; Hernani son jeune amant de 20 ans, noble banni pour motif politique, rebelle et maudit, incarnation du héros romantique. Mlle Mars aime et joue les classiques, elle désire en même temps aider ce jeune et talentueux auteur, mais elle bute sur certains passages, craignant surtout le ridicule en scène. Un exemple entre les 240 vers de son rôle, comment dire à Hernani cet alexandrin périlleux : « Vous êtes mon li - on superbe et généreux. » Hugo devra déployer des trésors de persuasion détaillés avec humour par Théophile Gautier…
À la reprise d’Hernani, 22 janvier 1838, il écrit un article dans La Presse : « Jamais œuvre dramatique n’a soulevé une plus vive rumeur ; jamais on n’a fait autant de bruit autour d’une pièce… Chaque vers était pris et repris d’assaut. Un soir, les romantiques perdaient une tirade ; le lendemain, ils la regagnaient, et les classiques, battus, se portaient sur un autre point avec une formidable artillerie de sifflets, appeaux à prendre les cailles, clefs forées, et le combat recommençait de plus belle. » Les romantiques ont finalement gagné. Si leur postérité théâtrale l’emporte, leur règne théâtral sera court : treize ans.
« La trilogie des Burgraves ? De l’ennui triplé ! Figures de bois… Lugubre jeu de marionnettes… Passion à froid. »
Heinrich HEINE (1797-1856), Lutèce. Lettres sur la vie politique, artistique et sociale de la France (publication posthume, 2008)
Les Burgraves sont des seigneurs du Rhin. Job, sage centenaire, est entouré par ses fils, petit-fils et arrière-petit-fils tyranniques et sans scrupules. Mais le passé de l’ancêtre n’est pas sans taches et des personnages présumés morts depuis longtemps vont surgir dans le burg médiéval pour le tourmenter. Une mystérieuse vieille femme quelque peu sorcière, Guanhumara, ourdit dans l’ombre des complots et semble vouloir se venger d’injures passées. L’arrivée d’un étrange vieillard bouleverse tout : l’empereur Frédéric Barberousse (1122-1190) revient pour tenter de rétablir l’ordre dans le Saint Empire germanique, bien mal en point après sa mort annoncée. D’étranges liens semblent l’unir au vieux Job…
Heinrich Heine, poète juif allemand adopté par Paris et journaliste à ses heures, est sévère contre ce sombre mélodrame évocateur de son pays. Le critique Maurice Levaillant, poète et critique spécialiste de Chateaubriand et des auteurs romantiques du XIXe, qualifie la création du 7 mars 1843 de « Waterloo du drame romantique. »
Un étonnant retour en grâce de la critique rappellera les 33 représentations de la pièce l’année de la création à la Comédie-Française – chiffre honorable, mais sans commune mesure avec les autres titres d’Hugo. La pièce sera reprise par le même théâtre subventionné en 1902 pour le centenaire de l’auteur et Antoine Vitez, en 1977, remontera les Burgraves en banlieue parisienne. Sa carrière s’arrête là. Sa longueur, le nombre de personnages, des monologues très nombreux et interminables ne facilitent pas la mise en scène ni l’adhésion du public. Rien à voir avec les autres drames d’Hugo, Hernani (1830), Marion de Lorme (1831), Le Roi s’amuse (1832), Lucrèce Borgia et Marie Tudor (1833), Angelo, tyran de Padoue (1835), Ruy Blas (1838), le plus célèbre. Certains drames seront repris et adaptés pour la scène lyrique, à commencer par Rigoletto (le bouffon du Roi s’amuse).
Après les Burgraves, Hugo renonce à la scène théâtrale et va se lancer dans l’arène politique – il écrira plus tard son Théâtre en liberté (pas fait pour être joué, mais quand même créé dans les années 1960) et Torquemada (création posthume).
4. L’engagement politique : du pouvoir monarchiste à l’opposition républicaine, avec quelques principes intangibles.
« 1817 est l’année que Louis XVIII, avec un certain aplomb royal qui ne manquait pas de fierté, qualifiait de vingt-deuxième de son règne. »1966
Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)
(Pour les amateurs de calcul, rappelons que 1817 moins 22 égale 1795, date de la mort (officielle) de Louis XVII le dauphin, année où le comte de Provence en exil fut proclamé Louis XVIII. Bref, le compte est bon.)
La préface résume clairement les intentions politiques, sociétales et humanistes de l’auteur : « Tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles ».
L’action se situe dans le premier tiers du XIXe siècle. Cette fresque épique et romanesque en cinq parties décrit la vie de pauvres gens dans Paris et la France provinciale, s’attachant au destin de Jean Valjean, bagnard évadé, croisant une série de personnages, Javert, Fantine, Cosette, Marius, Gavroche, les Thénardier… D’innombrables adaptations suivirent, une cinquantaine de films, des pièces de théâtre, des feuilletons télévisés, des dessins animés, une comédie musicale, un ballet, un son et lumière, deux mangas…
« Les révolutions sont de magnifiques improvisatrices. Un peu échevelées quelquefois. »2024
Victor HUGO (1802-1885), Choses vues, 1830 (posthume)
Avec lui, tous les jeunes romantiques (sauf Théophile Gautier partisan de « l’art pour l’art ») se retrouvent dans l’opposition. Hugo a 28 ans. C’est l’un des plus ardents. Et c’est le début d’une belle et longue vie politique, menée parallèlement à sa carrière littéraire et souvent dans l’opposition. On peut le comparer à Chateaubriand, son modèle proclamé : « Je veux être Chateaubriand ou rien ».
« La dernière raison des rois, le boulet. La dernière raison des peuples, le pavé. »2028
Victor HUGO (1802-1885), Littérature et philosophie mêlées (1834)
L’histoire de France est ponctuée de « journées des Barricades » – murailles vite improvisées, faites de pavés, de galets, de poutres, construites par le peuple pour barrer la route aux troupes organisées, chargées du maintien de l’ordre. La première Journée remonte à la Sainte Ligue (catholique), qui tenait Paris en 1588. En 1649, c’est la Fronde, où l’on a beaucoup joué avec les pavés.
La Révolution de 1830 dépave les rues de Paris, durant ses Trois Glorieuses (journées). Après l’insurrection républicaine de 1832, les pavés reprennent du service avec la Révolution de 1848. Vient ensuite la Commune de Paris en 1871, la plus sanglante guerre des pavés – Hugo sera encore témoin. Au XXe siècle, Paris vivra deux séries de journées où les rues se hérissent à nouveau de barricades et de pavés qui font également projectiles : Libération en 1940 et mai 1968. Entre les deux, la « semaine des Barricades » en janvier 1960, à Alger. Le pavé servira de moins en moins, les rues de Paris et de toutes les grandes villes étant recouvertes de macadam.
« On a voulu, à tort, faire de la bourgeoisie une classe. La bourgeoisie est tout simplement la portion contentée du peuple. Le bourgeois, c’est l’homme qui a maintenant le temps de s’asseoir. Une chaise n’est pas une caste. »2052
Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)
D’abord réservé face à Louis-Philippe, Hugo est conquis par sa belle-fille, la jeune duchesse d’Orléans. Mais la mort accidentelle de son mari, prince héritier, ruine ses rêves de futur ministre. Nommé pair de France en 1845, il se bat contre la peine de mort, l’injustice sociale. Son parcours politique d’homme de gauche et de cœur ne fait que commencer.
« Louis-Philippe était un homme rare […] très premier prince du sang tant qu’il n’avait été qu’altesse sérénissime, mais franc bourgeois le jour où il fut majesté. »2055
Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)
Roi-citoyen amené au pouvoir par une révolution, roi des barricades à la tête d’une monarchie bourgeoise qualifiée de « meilleure des républiques » par certains, Louis-Philippe réunit quelques-unes des ambiguïtés dont vivra et mourra ce régime.
« Sa grande faute, la voici : il a été modeste au nom de la France. »2056
Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)
D’ordinaire plus sévère pour les princes qui gouvernent la France, Hugo ajoute : « Louis-Philippe sera classé parmi les hommes éminents de son siècle, et serait rangé parmi les gouvernements les plus illustres de l’histoire, s’il eût aimé la gloire et s’il eût eu le sentiment de ce qui est grand au même degré que ce qui est utile. » Certes !
« Fichtre ! fit Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts. »2076
Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)
Mot du populaire gamin de Paris, ainsi mis en situation : « Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d’une borne, une balle frappa le cadavre. »
Hugo immortalise dans ce roman la première grande insurrection républicaine sous la Monarchie de Juillet, les 5 et 6 juin 1832. Une manifestation aux funérailles du général Lamarque (député de l’opposition) se termine en émeute quand la garde nationale massacre les insurgés, retranchés rue du Cloître-Saint-Merri : barricades et pavés font à nouveau l’histoire et la une des journaux de l’époque, média le plus populaire à l’époque.
« Grâce encore une fois ! Grâce au nom de la tombe,
Grâce au nom du berceau. »2099Victor HUGO (1802-1885), « Au roi Louis-Philippe, après l’arrêt de mort prononcé le 12 juillet 1839. » Les Rayons et les ombres (1840), Victor Hugo
Hugo sera l’un des plus fervents adversaires de la peine de mort, quelles que soient les circonstances. Le 12 mai, un coup d’État est organisé (d’ailleurs fort mal) par la société secrète des Saisons. Son but : faire tomber la Monarchie de Juillet pour instaurer une république sociale. L’idéologie néojacobine renvoie à Robespierre, Buonarroti et Babeuf, extrême gauche de la Révolution.
Barbès, Blanqui et Bernard sont les trois meneurs. Entraînant des centaines de partisans, ils partent à l’assaut de la préfecture de police et de l’Hôtel de Ville. La garde nationale et l’armée écrasent l’insurrection, le 13 mai : plus de 100 morts, dont 28 militaires, autant de blessés (dont Barbès). La plupart des conjurés sont arrêtés, Blanqui est en fuite. Au terme du procès, Barbès est condamné à mort le 12 juillet. Hugo intervient le jour même et Paris manifeste le lendemain en sa faveur.
Le 14 juillet, la peine est commuée en travaux forcés à perpétuité grâce à ces interventions et à un heureux événement : la duchesse d’Orléans, femme du fils aîné et très aimé du roi, vient de lui donner un petit-fils. Le choc de cette insurrection met fin à une crise ministérielle, mais l’effet de peur ne durera que quelques mois. L’opposition au régime va s’aggraver sous ce roi bourgeois et trop âgé pour comprendre le peuple et la situation.
« Louis-Philippe tend la main droite et montre le poing gauche. »2129
Victor HUGO (1802-1885), Choses vues, 1847-1848 (posthume)
Le roi comprend enfin la gravité de la situation, le 23 février 1848. Le matin, c’est l’assaut d’une barricade, rue Quincampoix : 16 soldats tués. Le sang versé l’atterre, autant que l’effraie la garde nationale, sympathisant avec les émeutiers. Louis-Philippe renvoie Guizot, appelle Molé au gouvernement. Paris illumine, la rue semble se calmer. Le roi se rassure : « Les Parisiens ne font jamais de révolution en hiver. » Mais les républicains ne veulent pas laisser passer cette occasion.
Malgré la pluie glacée, le soir, un groupe de manifestants va huer Guizot sous ses fenêtres, boulevard des Capucines, devant le ministère des Affaires étrangères. La troupe se croit menacée, un coup de feu part, les forces de l’ordre ripostent : la fusillade des Capucines laisse plus de 50 cadavres sur le pavé, promenés en charrette dans la nuit, à la lueur des torches, sur fond de tocsin.
Le roi se résigne à appeler l’homme de la dernière chance à la tête du gouvernement, Thiers qu’il n’aime guère, « Mirabeau-mouche », « singe à portefeuilles ». C’est la main droite tendue. Mais dans le même temps, le roi met le maréchal Bugeaud à la tête de l’armée : le pacificateur de l’Algérie va pacifier Paris, pense-t-il. C’est le poing gauche.
« Partout on travaille activement aux barricades déjà formidables. C’est plus qu’une émeute, cette fois, c’est une insurrection. »2131
Victor HUGO (1802-1885), Choses vues, 24 février 1848 (posthume)
Lamartine, Dumas, Flaubert, Baudelaire, George Sand et beaucoup d’autres écrivains sont témoins, parfois acteurs et enthousiastes. Hugo vit et vibre à ces nouvelles journées des Barricades, toujours aux premières loges – après les Trois Glorieuses de 1830 et l’insurrection républicaine de 1832, célébrée dans les Misérables. Il note encore, en date du 24 : « Je fais une reconnaissance autour de la place Royale. Partout l’agitation, l’anxiété, une attente fiévreuse. »
Thiers a un plan, celui-là même qu’il appliquera contre les communards en 1871 : évacuer Paris, puis l’encercler, le reconquérir comme une place forte ennemie avec une troupe de métier. Il dispose de 60 000 hommes pour écraser la révolution. Cela ferait des milliers de morts… Le roi ne peut s’y résoudre. Il faut une décision, l’émeute gronde autour du palais des Tuileries.
« La populace ne peut faire que des émeutes. Pour faire une révolution, il faut le peuple. »2133
Victor HUGO (1802-1885), Tas de pierres (posthume)
Grand témoin des événements, il observe le corps social malade : « Je continue de tâter le pouls à la situation. » Et il oppose, comme il aime faire dans ses œuvres de fiction, le bien et le mal, le peuple glorieux et la populace méprisable.
Les émeutiers ont envahi la Chambre et nomment un gouvernement provisoire. La République est proclamée. Les fils cadets de Louis-Philippe pouvaient encore sauver la dynastie – ils se soumettront. Le dernier roi de France vient donc d’abdiquer. Il part pour l’exil en Angleterre où il mourra deux ans plus tard. Un règne de dix-huit ans s’achève, celui d’un roi bourgeois dans une France bourgeoise, « Roi des barricades » entre deux révolutions, l’une de trois jours qui l’a fait roi-citoyen d’une monarchie constitutionnelle, et l’autre beaucoup plus chaotique et sanglante, pour accoucher d’une république qui aboutira au Second Empire de Napoléon III. La France aura vraiment testé tous les régimes, déclinés en différentes versions.
« Le vrai socialisme, ce n’est pas le dépouillement d’une classe par l’autre, c’est-à-dire le haillon pour tous, c’est l’accroissement, au profit de tous, de la richesse publique […] Quant au communisme, je n’ai jamais eu pour idéal un damier. Je veux l’infinie variété humaine. »2138
Victor HUGO (1802-1885), Avant l’exil (discours 1841-1851)
C’est l’un des plus brillants députés de cette brève République. Celui qui se veut l’« écho sonore » de son siècle aura été successivement libéral sous la Restauration, réservé puis favorable à Louis-Philippe sous la Monarchie de Juillet, hostile à l’émeute pendant la Révolution de 1848, puis partisan du prince Louis-Napoléon, avant d’en devenir le plus talentueux opposant quand il voit poindre le dictateur. Mais Hugo demeure toujours fidèle à un idéal humanitaire, généreux, se battant contre la misère du peuple, l’injustice sociale, la peine de mort, les restrictions à la liberté de la presse, avec une constance et un courage qui le forceront bientôt à l’exil.
« Les quatre mois qui suivirent février furent un moment étrange et terrible. La France stupéfaite, déconcertée, en apparence joyeuse et terrifiée en secret, […] en était à ne pas distinguer le faux du vrai, le bien du mal, le juste de l’injuste, le sexe du sexe, le jour de la nuit, entre cette femme qui s’appelait Lamartine et cet homme qui s’appelait George Sand. »2154
Victor HUGO (1802-1885), Choses vues (posthume). L’Écrivain engagé et ses ambivalences : de Chateaubriand à Malraux (2003), Herbert R. Lottman
Le grand témoin à la barre de l’histoire de son temps note toutes ses impressions dans son Journal. Son œuvre est une mine de citations et les plus belles appartiennent aux grandes époques de trouble qui déchirèrent la France. En prime, l’humour est présent et l’antithèse hugolienne fort juste. Son ami Lamartine va jouer un rôle sans doute trop grand pour lui et qu’il aurait pu assumer, si, si et si… On ne refait pas l’Histoire.
« Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les États-Unis d’Amérique, les États-Unis d’Europe, placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant les déserts, améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu ! »
Victor HUGO (1802-1885), Discours d’ouverture du Congrès de la paix, Paris, 21 août 1849)
Baptisé le grand-père de l’Europe, c’est assurément l’une de ses grandes idées prémonitoires, le premier à parler sous la Deuxième République des « États-Unis d’Europe » devant déboucher sur une nouvelle Europe irriguée par la vérité et la justice, en même temps que la fraternité sociale permettrait d’atteindre les deux autres objectifs de liberté et d’égalité.
« Haine vigoureuse de l’anarchie, tendre et profond amour du peuple. »2178
Victor HUGO (1802-1885), devise de L’Événement, juillet 1848-septembre 1851
La formule est empruntée à l’un de ses discours électoraux de mai 1848. Le poète qui a renoncé au théâtre entre sur la scène politique. Élu par la bourgeoisie le 4 juin, favorable à la fermeture des Ateliers nationaux (totalement inutiles) et partisan résolu de la répression des journées insurrectionnelles, Hugo demeure pourtant libéral. Tout en refusant le socialisme, il va s’opposer au gouvernement Cavaignac qui, avec le parti de l’Ordre, menace la liberté de la presse et multiplie les mesures répressives.
Dans son journal, créé avec l’aide de son ami Émile de Girardin, grand patron de presse, il écrit la plupart des articles, même s’il ne signe pas. Il a deux buts précis et corollaires : promouvoir sa propre candidature à la présidence de la République et défendre le suffrage universel pour cette élection à venir. Au passage, il attaque le général candidat et très populaire : « M. Cavaignac n’a encore remporté de victoires que contre les talents et les libertés. De pareils Austerlitz sont toujours des Waterloo ! »
Dès le mois d’octobre, influencé par Girardin, Hugo renonce à se présenter, mettant L’Événement au service du prince Louis-Napoléon qui apparaît la solution au drame du pays, affirmant : « Toute ma vie sera consacrée à l’affermissement de la République. » Discours du 21 septembre 1848. Le futur Napoléon III fait un pas dans l’histoire : réélu en septembre dans cinq départements, il choisit l’Yonne, décide de se présenter à la présidence de la République et entre en campagne pour le scrutin présidentiel, fixé aux 10 et 11 décembre. Hugo va comprendre qu’il s’est trompé sur le personnage et son revirement sera lourd de conséquences.
« Tout ce que vous ôtez au droit de suffrage, vous le rendez au droit à l’insurrection. »2204
Victor HUGO (1802-1885), Discours sur le suffrage universel, Assemblée législative, 20 mai 1850. Actes et Paroles. Avant l’exil (1875)
Le plus célèbre des députés s’insurge contre une révision de la loi qui amputerait le suffrage universel en réduisant le corps électoral de 30 %. Pour voter, il faudrait payer la taxe personnelle depuis trois ans au lieu de six mois dans la commune ce qui élimine la main-d’œuvre très mobile des ouvriers journaliers, soit 3 millions d’électeurs écartés des urnes. Et cela parce que des élections partielles (mars 1850) ont été trop favorables aux démocrates, ces « rouges » qui font si peur !
« C’est parce que je veux la souveraineté nationale dans toute sa vérité que je veux la presse dans toute sa liberté. »2206
Victor HUGO (1802-1885), Assemblée législative, 9 juillet 1850. Les Médias (2004), Francis Balle
Le défenseur des libertés s’oppose ici à la loi sur la presse qui va rétablir le timbre et le cautionnement, le 16 juillet. Le prince qui gouverne chaque jour un peu plus la France déplaît chaque jour davantage à Hugo.
« Situation grave pour le cabinet.
Que faire ? Comment sortir de là ?
Le bon sens répond : par la porte.
Le gouvernement dit : par une loi. »2207Victor HUGO (1802-1885), Avant l’exil (discours 1841-1851)
À propos de la loi sur la presse votée le 16 juillet 1850. Cela pourrait s’appliquer aux autres lois réactionnaires qu’il fustige et qui passent, mais qui vont réveiller en lui l’homme de gauche et en faire un député d’opposition.
« L’an passé, ils adoraient le sabre. Les voilà maintenant qui adorent le gourdin. »2209
Victor HUGO (1802-1885), mots prémonitoires, datés de novembre 1849. Actes et Paroles. Avant l’exil (1875)
Hugo constate les progrès de l’autorité et l’irrésistible ascension du prince Louis-Napoléon. Le premier Bonaparte a eu sa campagne d’Italie, le second s’offre une campagne de France. La « folie impériale » se précise, tant redoutée par l’épouse de Thiers (vrai républicain).
« Ce gouvernement, je le caractérise d’un mot : la police partout, la justice nulle part. »2211
Victor HUGO (1802-1885), Assemblée législative, avril 1851. L’Évolution de la pensée politique et sociale de Victor Hugo (1973), Michel Granet
Le parti de l’Ordre est devenu impopulaire par ses lois trop réactionnaires ; les monarchistes sont divisés sur le nom d’un candidat, après la mort de Louis-Philippe (26 août 1850). Louis-Napoléon Bonaparte se pose en homme providentiel et sait se rallier un nombre grandissant de partisans.
Hugo est désormais son principal opposant. Le libéral en lui est révolté : le président de la République manipule l’opinion et exploite à son profit la peur – peur de la révolution, peur d’un vaste complot démocratique, peur de l’incertitude née de la Constitution qui empêche sa réélection en 1852. Des troubles dans le pays affolent le bourgeois.
« La Révolution et la République sont indivisibles. L’une est la mère, l’autre est la fille. L’une est le mouvement humain qui se manifeste, l’autre est le mouvement humain qui se fixe. La République, c’est la Révolution fondée […] On ne sépare pas l’aube du soleil. »2214
Victor HUGO (1802-1885), Assemblée législative, Discours du 17 juillet 1851. Actes et Paroles. Avant l’exil (1875)
Discours violent et célèbre, prononcé devant une assemblée houleuse. Hugo est contre la révision de la Constitution qui est débattue. Le 19 juillet, elle ne réunit que 446 voix contre 270. Il fallait la majorité des trois quarts (543 voix). L’article 45 interdisant la rééligibilité est donc maintenu. Les députés n’ont pas été dupes, la manœuvre a échoué.
Louis-Napoléon Bonaparte n’a plus le choix. Il prépare son coup d’État avec soin, avec ses hommes bien placés dans l’armée, la police. Il prépare aussi l’opinion, entretient plus que jamais la peur, dénonce l’imminence du complot : Le Spectre rouge de 1852, brochure signée Romieu, en dit assez par son titre.
5. Un si long exil d’opposant absolu au Second Empire : près de vingt ans d’hyperactivité politique et littéraire.
« Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »2234
Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)
Le prestigieux proscrit témoignera de son opposition irréductible à l’empereur, personnage à présent haï de lui. Le poète qui se veut « écho sonore » et conscience de son siècle refusera de rentrer en France après le décret d’amnistie. À la date où son œuvre est diffusée sous le manteau, l’opposition républicaine est réduite à néant : chefs en prison ou en exil, journaux censurés.
Ces mots auront d’autant plus de portée, Hugo devenant le chef spirituel des républicains refusant le dictateur : « Si l’on n’est plus que mille, eh ! bien, j’en suis ! Si même / Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ; / S’il en demeure dix, je serai le dixième ; / Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! » On ne saurait mieux dire son opposition absolue.
« Qu’importe ce qui m’arrive ? J’ai été exilé de France pour avoir combattu le guet-apens de décembre […] Je suis exilé de Belgique pour avoir fait Napoléon le Petit. Eh bien ! je suis banni deux fois, voilà tout. Monsieur Bonaparte m’a traqué à Paris, il me traque à Bruxelles ; le crime se défend, c’est tout simple. »2221
Victor HUGO (1802-1885), Pendant l’exil (écrits et discours de 1852-1870)
Hugo s’était physiquement opposé au coup d’État du 2 décembre (anniversaire d’Austerlitz, victoire chère au cœur du futur empereur). Il a fui le 11 décembre 1851, pour éviter d’être arrêté. L’exil commence. Il va durer près de vingt ans, avant le retour au lendemain de l’abdication de Napoléon III, dans la France en pleine guerre avec la Prusse, à la veille de la défaite et de la Commune.
« Louis Bonaparte […] ne connaissait qu’une chose, son but […] Toute sa politique était là. Écraser les républicains, dédaigner les royalistes. »2222
Victor HUGO (1802-1885), Histoire d’un crime (1877)
Ainsi résume-t-il la politique du nouvel homme fort, entre le coup d’État du 2 décembre 1851 et le rétablissement de l’Empire à son profit, en novembre 1852.
« Louis Bonaparte est un homme de moyenne taille, froid, pâle, lent, qui a l’air de n’être pas tout à fait réveillé […] Les chefs de la droite disaient volontiers de Louis Bonaparte : C’est un idiot. Ils se trompaient. C’est un livre où il y a des pages arrachées. À tout moment quelque chose manque. Louis Bonaparte a une idée fixe, mais une idée fixe n’est pas l’idiotisme. »2245
Victor HUGO (1802-1885), Napoléon le Petit (1852)
Un pamphlet n’est jamais impartial et Hugo en veut d’autant plus au personnage qu’il l’a d’abord soutenu, dans sa course au pouvoir. Mais ces lignes ne sont pas plus sévères que le jugement de nombreux témoins éclairés. Même constat chez les historiens : Napoléon III, à l’image du Second Empire, est mal aimé, hormis quelques exceptions et de récentes réhabilitations.
« Qui arracherait une plume à son aigle risquerait d’avoir dans la main une plume d’oie. »2248
Victor HUGO (1802-1885), Histoire d’un crime (1877)
Le « crime » de l’histoire, c’est le coup d’État du 2 décembre 1851 auquel Hugo tenta en vain de s’opposer par la force des pavés, avant de s’en remettre à la force des mots. On sait que le ridicule blesse, s’il ne tue pas à tout coup.
Même si le coup d’État réussi donne une soudaine assurance au personnage, Napoléon III souffrira toujours de la comparaison avec Napoléon Ier. « L’histoire est une galerie de tableaux où il y a peu d’originaux et beaucoup de copies. » Ce jugement de Tocqueville, d’ailleurs antérieur au Second Empire, s’applique particulièrement bien à Napoléon III. (Il prit le numéro trois, le roi de Rome ayant reçu officiellement le nom de Napoléon II).
« M. Louis Bonaparte a réussi. Il a pour lui désormais l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort, et tous ces hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que de la honte. »2253
Victor HUGO (1802-1885), Napoléon le Petit (1852)
Les ralliements sont nombreux, mais ni plus ni moins choquants que tous les précédents, dans cette France qui ne cesse de changer de régime depuis le début du siècle.
Hugo fut ulcéré par le coup d’État du 2 décembre 1851, combattu sans succès comme député à la Chambre et comme manifestant appelant le peuple aux barricades ; ulcéré aussi par l’irrésistible ascension au pouvoir impérial qui a suivi, en 1852. Et d’accuser Napoléon III dans son pamphlet : « Il a fait de M. Changarnier une dupe, de M. Thiers une bouchée, de M. de Montalembert un complice, du pouvoir une caverne, du budget sa métairie. » Le plus grand auteur français de son temps, le plus populaire aussi, va rester dix-neuf ans en exil – jusqu’à la chute du régime et de « Napoléon le Petit ».
Le « héros Crapulinsky » est aussi tourné en dérision par Karl Marx, dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte : les plaies d’argent et la vie scandaleuse du personnage sont sans doute exagérées. Quant à l’analyse des deux prises de pouvoir bonapartistes, elle est par définition marxiste, aux antipodes du socialisme selon Hugo.
« L’histoire a pour égout des temps comme les nôtres. »2257
Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)
Paroles d’exil. Il faut être hors de France pour avoir cette liberté d’expression. Il faut être Hugo pour avoir ces mots ! Le prestigieux proscrit de Jersey, bientôt de Guernesey, se veut plus que jamais l’« écho sonore » et la conscience de son siècle et refusera de rentrer après le décret d’amnistie.
Son œuvre est diffusée sous le manteau et l’opposition républicaine réduite à néant : chefs en prison ou en exil, journaux censurés. Ces mots ont d’autant plus de portée, Hugo devenant le chef spirituel des républicains et stigmatisant le dictateur, se posant en ultime résistant : « Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »
Après le pamphlet politique contre « Napoléon le Petit », Les Châtiments sont une œuvre poétique ambitieuse. Suite au crime du 2 décembre et à la répression, Dieu inflige le châtiment et l’expiation. Le Poète, seul face à l’océan, parlant au nom du Peuple, est le messager qui annonce l’espoir avec la venue de temps meilleurs.
« Quand la liberté rentrera en France, je rentrerai. »2277
Victor HUGO (1802-1885), Déclaration, Hauteville-House, Guernesey, 18 août 1859. Actes et Paroles. Pendant l’exil (1875)
Exilé au lendemain du coup d’État du 2 décembre 1851 après avoir tenté de soulever le peuple de Paris, plus opposant et républicain que jamais, Hugo refuse de profiter du décret d’amnistie générale pour les condamnés politiques, au terme d’une forte et brève déclaration : « Personne n’obtiendra de moi que, en ce qui me concerne, j’accorde un moment d’attention à la chose appelée amnistie. Dans la situation où est la France, protestation absolue, inflexible, éternelle, voilà pour moi le devoir. Fidèle à l’engagement que j’ai pris vis-à-vis de ma conscience, je partagerai jusqu’au bout l’exil de la liberté. » « Et s’il n’en reste qu’un… » Il sera donc celui-là. C’est le début de l’exil volontaire dont il saura magnifiquement tirer parti, travaillant à son œuvre et à sa légende.
6. Icône de la Troisième République, statufié de son vivant, panthéonisé au lendemain de sa mort.
« Citoyens, j’avais dit : le jour où la République rentrera, je rentrerai. Me voici ! »2335
Victor HUGO (1802-1885), de retour à Paris, gare du Nord, 5 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876)
Après dix-neuf ans d’exil, il rentre sitôt proclamée la République. Il a pris le train de nuit de Bruxelles, pour passer inaperçu. Peine perdue. La foule l’attend. La renommée du poète proscrit a encore grandi. Il doit parler.
C’est un orateur né pour le peuple, la tribune, les temps héroïques, la résistance : « Les paroles me manquent pour dire à quel point m’émeut l’inexprimable accueil que me fait le généreux peuple de Paris. […] Deux grandes choses m’appellent. La première, la république. La seconde, le danger. Je viens ici faire mon devoir. Quel est mon devoir ? C’est le vôtre, c’est celui de tous. Défendre Paris, garder Paris. Sauver Paris…
« Une guerre entre Européens est une guerre civile. »2323
Victor HUGO (1802-1885), Carnets, albums et journaux
Dès son retour, il demande aux Allemands de faire la paix. La Troisième République, née en 1870 sous le signe de la guerre et de la défaite, marquée par l’épreuve de la Première Guerre mondiale de 1914-1918, s’écroulera dans le nouveau désastre de 1940. « L’histoire, comme une idiote, mécaniquement se répète », écrira Paul Morand (Fermé la nuit).
« Sauver Paris, c’est plus que sauver la France, c’est sauver le monde. »2325
Victor HUGO (1802-1885), Pendant l’exil (écrits et discours de 1852-1870)
Le plus éloquent, le plus passionné des grands auteurs et acteurs témoins de leur temps a écrit ces mots quand l’Empire le tenait en exil. De retour à Paris dès que la République est proclamée, patriote et révolutionnaire, il parlera, agira, souffrira, écrira L’Année terrible (publiée en 1872).
Paris joue à nouveau le premier rôle dans cette page d’histoire de France, au risque de se perdre : refus de capituler devant l’ennemi, jusqu’au-boutisme révolutionnaire qui le coupe du reste de la France et le déchire intra-muros, martyre de cité deux fois assiégée, deux fois bombardée, par les Prussiens d’abord, les Versaillais ensuite.
« Paris va terrifier le monde. On va voir comment Paris sait mourir. Le Panthéon se demande comment il fera pour recevoir sous sa voûte tout ce peuple qui va avoir droit à son dôme. »2336
Victor HUGO (1802-1885), le 5 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876)
Entre la gare du Nord et son domicile, la foule qui se presse l’oblige à prononcer quatre discours. Auteur immensément populaire, c’est aussi la conscience et la grande voix de la France. Il aura naturellement droit au Panthéon, après des obsèques nationales. C’est même en son honneur que l’église Sainte-Geneviève, au cœur du 5e arrondissement, retrouvera en 1885 cette vocation et cette inscription : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante. »
« Il me convient d’être avec les peuples qui meurent, je vous plains d’être avec les rois qui tuent. »2339
Victor HUGO (1802-1885), 9 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876)
Il en appelle aux Allemands pour que cesse cette « guerre civile » entre peuples d’Europe. Mais la guerre continue, l’ennemi approche, Paris est saisi d’une fièvre patriotique. Chaque quartier a son club où l’on parle d’abondance et dans chaque arrondissement se créent des comités de vigilance, sous l’impulsion des militants de la première Internationale, rejoints par des radicaux et des Jacobins. Le mot de « Commune » est acclamé, l’idée est lancée dès septembre.
« Les Prussiens sont huit cent mille, vous êtes quarante millions d’hommes. Dressez-vous et soufflez sur eux ! »2340
Victor HUGO (1802-1885), 14 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876)
Il encourage toujours la France à la résistance : « Lille, Nantes, Tours, Bourges, Orléans, Dijon, Toulouse, Bayonne, ceignez vos reins. En marche ! Lyon, prends ton fusil… »
Le gouvernement a décidé de rester dans la capitale – pour l’honneur, et parce que la province n’est pas très favorable à tous ces révolutionnaires parisiens qui recommencent à (se) manifester. Paris possède d’énormes réserves de nourriture (30 000 bœufs, 180 000 moutons) une véritable artillerie (700 pièces) et même une marine de guerre, « beaucoup d’hommes, mais peu de soldats », aux dires de Trochu, gouverneur militaire. De quoi tenir un siège.
Les Prussiens assiègent Paris (et Versailles) à partir du 19 septembre 1870 : deux armées de 180 000 hommes. Les « 300 000 fusils » français ne se pressent pas aux « fortifs », les soldats de la garde nationale préfèrent aller boire leur solde et jouer au bouchon. À la première attaque allemande, la débandade est immédiate : véritable sauve-qui-peut. Les onze du gouvernement de la Défense nationale sont déjà dépassés par les événements.
« Nous mangeons du cheval, du rat, de l’ours, de l’âne. »2347
Victor HUGO (1802-1885), L’Année terrible (Lettre à une femme, janvier 1871)
Hugo reste volontairement enfermé dans Paris bombardé pendant un mois (10 000 projectiles et 60 morts ou blessés chaque jour) et assiégé pendant cinq mois (au total). Il souffre des souffrances de la ville en cet hiver 1871 – où la consommation d’absinthe est multipliée par cinq ! Il fait don de ses droits d’auteur sur Les Châtiments pour la fabrication de deux canons (le Victor Hugo, le Châtiment) et pour le secours aux victimes de guerre.
Jules Ferry, chargé du ravitaillement de la population (et du maintien de l’ordre), est surnommé Ferry la Famine. Et Trochu promu gouverneur de la capitale est complètement discrédité.
« Trochu : participe passé du verbe trop choir. »2349
Victor HUGO (1802-1885). L’Année terrible (2009), Pierre Milza
Hugo ne va pas rater le mot ni l’homme, quand le général Trochu démissionne après une résistance bien passive. Le gouverneur de Paris disposait de forces suffisantes pour résister, mais plus que la peur des Prussiens, il a la hantise des émeutes populaires – comme nombre de bourgeois et de paysans de l’époque. Les cris de « Vive la Commune » poussés à chaque émeute terrorisent Trochu, ce conservateur timoré qui se définit comme « Breton, catholique et soldat ».
Le 20 janvier, les Parisiens, affamés, désespérés, ont tenté une « sortie torrentielle » à l’Ouest, ils sont arrêtés à Buzenval. L’opération s’achève par une piteuse retraite et 4 000 morts. Trochu se refuse à de nouveaux combats qui « ne seraient qu’une suite de tueries sans but. » Il démissionne de son poste de gouverneur militaire de Paris en faveur du général Vinoy, le 22 janvier 1871 – nouveau jour d’émeute, 50 morts – avant de renoncer aussi à la présidence du gouvernement de la Défense nationale.
« Plus de frontières ! Le Rhin à tous ! Soyons la même République, soyons les États-Unis d’Europe, soyons la fédération continentale, soyons la liberté européenne, soyons la paix universelle ! »
Victor HUGO (1802-1885), Discours à l’Assemblée nationale, 1er mars 1871
La création des États-Unis d’Europe est, pour Hugo, une véritable nécessité. Il le rappelle chaque fois que l’occasion lui en est donnée, lors de voyages, en réponse à des courriers, en réaction à des événements politiques.
« L’Assemblée refuse la parole à M. Victor Hugo, parce qu’il ne parle pas français ! »2357
Vicomte de LORGERIL (1811-1888), Assemblée nationale, Bordeaux, 8 mars 1871. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876)
Ce député monarchiste, poète à ses heures, coupe la parole à l’élu de Paris. Hugo le républicain est déjà monté à la tribune pour condamner la paix infâme le 1er mars, pour déplorer que Paris soit décapitalisée au profit de Bordeaux, le 6.
En cette séance houleuse du 8, il se fait insulter pour avoir défendu l’Italien Garibaldi, élu député d’Alger : il conteste l’invalidation de ce vieux révolutionnaire italien « venu mettre son épée au service de la France » dans la guerre contre les Prussiens. Hugo va démissionner et regagner Paris (pour enterrer son fils Charles, mort d’apoplexie). La haine est terrible entre l’Assemblée monarchiste, pacifiste, et Paris où les forces révolutionnaires, remobilisées, refusent de reconnaître le pouvoir de cette « assemblée de ruraux » défaitistes.
« À mort, Victor Hugo ! À la potence ! À la lanterne le brigand !… À Cayenne ! »
Cité par Victor HUGO (1802-1885). Actes et paroles, vol. 4 (1885)
Pour ses articles publiés durant la Semaine sanglante, il voit sa maison à Bruxelles lapidée, étant personnellement menacé de mort ou du bagne (à Cayenne). Tous ces cris sont poussés dans la nuit, sans que la police intervienne. Hugo s’est réfugié avec sa famille en Belgique, au mois de mars 1871.Mais le gouvernement belge, hostile aux communards de Paris à qui le poète offrait l’asile de sa demeure, prit un arrêté enjoignant « au sieur Hugo, homme de lettres, âgé de soixante-neuf ans, de quitter immédiatement le royaume, avec défense d’y entrer à l’avenir ».
C’est poser le problème de l’engagement des intellectuels, question bientôt au centre de la vie politique. Dès son retour en France, Hugo se battra pour l’amnistie des communards et pour arracher à la mort ou à la déportation des gens tels que le journaliste Rochefort et Louise Michel, la Vierge rouge. Il lutte aussi en poète, en prophète qui en appelle à la fraternité.
« Ô juges, vous jugez les crimes de l’aurore. »
Victor HUGO (1802-1885), Le procès à la révolution, L’Année terrible, 1872
Fin d’un poème allégorique commençant par ces mots : « Lorsque vous traduisez, juges, à votre barre, / La Révolution, qui fut dure et barbare… » C’est l’année 1871, celle de la Commune qui fut véritablement barbare, mais elle annonce aussi une nouvelle aurore, un monde meilleur. Cette révolution manquée, aussi pleine de menaces que de promesses, a questionné les intellectuels, les philosophes, les penseurs de tous bords. Rappelons les mots de Jaurès qui aurait été communard malgré son pacifisme : « [La Commune] fut dans son essence, elle fut dans son fond la première grande bataille rangée du Travail contre le Capital. Et c’est même parce qu’elle fut cela avant tout […] qu’elle fut vaincue et que, vaincue, elle fut égorgée. » Citons aussi Marx qui lui rend hommage en militant révolutionnaire, même si le théoricien socialiste émit de nombreuses réserves : « Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Ses martyrs seront enclos dans le grand cœur de la classe ouvrière. »
« Le cadavre est à terre, mais l’idée est debout. »
Victor HUGO (1802-1885), Actes et paroles volume 4, La Voix de Guernesey Hauteville-House, novembre 1867
Étonnant destin de cette image qui a naturellement vocation de citation. La force des idées est l’une des leçons de l’Histoire et la Commune en est l’illustration, malgré la confusion des courants qui l’animent. Cette citation très hugolienne dans la forme (un alexandrin) et le fond (une antithèse) naît sous la plume du grand exilé, mais à la fin du Second Empire, en 1867.
Elle va logiquement devenir la devise des « Amies et Amis de la Commune de Paris 1871 », la plus ancienne organisation du mouvement ouvrier français encore en activité, créée en 1882 par les communards de retour d’exil. Cette récupération pour la bonne cause aurait sans doute comblé le grand homme.
« La gentilhommerie du pair de France [Hugo] subsistait sous le poil broussailleux du radical-socialisant. »2446
Maurice BARRÈS (1862-1923), Mes cahiers, 1896-1898 (1929)
Hugo, nommé pair de France en 1845, est élu sénateur à presque 74 ans, le 30 janvier 1876. Idole de la gauche républicaine, il se bat toujours pour l’amnistie des communards. Il faut attendre 1880 pour que la France pardonne avec la loi d’amnistie. La Commune, commémorée devant le « mur des Fédérés » au cimetière du Père-Lachaise, fera ensuite partie d’un culte national de la gauche et des anarchistes.
« Ne nous lassons pas, nous les philosophes, de déclarer au monde la paix. »2410
Victor HUGO (1802-1885), Discours du 25 mars 1877, Depuis l’exil (1876-1885, posthume)
La grande voix se taira en 1885 et d’autres voix s’élèveront pour parler de « la Revanche reine de France ». Cependant que dans le monde où les philosophes n’ont jamais le pouvoir, une nouvelle guerre se prépare.
« Je voudrais signer ma vie par un grand acte, et mourir. Ainsi, la fondation des États-Unis d’Europe. »
Victor HUGO (1802-1885), Note de 1876-1878
Rappel de cette idée fixe et prémonitoire, déjà formulée au début de la Deuxième République. Ce qui pouvait sembler une utopie parmi d’autres a finalement pris forme en 2009. L’Union européenne (UE), entité politico-économique, regroupe plus de 450 millions d’habitants dans 27 États qui délèguent ou transmettent par traité l’exercice de certaines compétences à des organes communautaires.
« Cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie ; déserte, c’est la sauvagerie ; mais elle ne se dérobe plus ; les lieux réputés inhabitables sont des climats possibles ; on trouve partout des fleuves navigables ; des forêts se dressent, de vastes branchages encombrent çà et là l’horizon ; quelle sera l’attitude de la civilisation devant cette faune et cette flore inconnues ? »
Victor HUGO (1802-1885), 18 mai 1879, Discours sur l’Afrique, Actes et paroles, IV, 1879
Invité à un banquet commémoratif de l’abolition de l’esclavage, son lyrisme se déploie dans un universalisme mystique et toutes ces formules valent citations. L’anachronisme du propos paraît aujourd’hui évident, mais le président Sarkozy, dans son discours de Dakar (2007) écrit par sa « plume » Henri Guaino, a repris cette thématique.
« L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie elle-même a son histoire ; l’Afrique n’a pas d’histoire ; une sorte de légende vaste et obscure l’enveloppe. […] Déjà les deux peuples colonisateurs, qui sont deux grands peuples libres, la France et l’Angleterre, ont saisi l’Afrique ; la France la tient par l’ouest et par le nord ; l’Angleterre la tient par l’est et par le midi. […] Au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du noir un homme ; au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. […] Allez, Peuples ! emparez-vous de cette terre. Prenez-la. À qui ? à personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes. Dieu offre l’Afrique à l’Europe. […] Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l’industrie ; non pour la conquête mais pour la fraternité. […] (applaudissements prolongés) Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. Allez, faites ! faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez ! »
« À monsieur Victor Hugo, En son avenue, à Paris. »
Courrier libellé à cette adresse, à partir de 1881
Quatre ans avant sa mort, le jour de son anniversaire, 600 000 parisiens défilent sous ses fenêtres dans le XVIe arrondissement de Paris, avenue d’Eylau, rebaptisée ce jour-là avenue Victor Hugo. Debout, ses petits-enfants à ses côtés, il regarde la foule respectueuse lui rendre ce formidable hommage. On imagine le bonheur, la fierté d’Ego Hugo.
« Oui, cette belle œuvre tend à ce que j’ai toujours aimé, appelé : la paix. Entre l’Amérique et la France – la France qui est l’Europe – ce gage de paix permanent. Il était bon que cela fût fait. »
Victor HUGO (1802-1885), 29 novembre 1884
L’octogénaire visite l’atelier du sculpteur Bartholdi qui vient d’achever la statue de la Liberté éclairant le monde, cadeau de la France aux États-Unis. Le poète prononce alors ces paroles qui font écho à son souhait des États-Unis d’Europe.
« C’est ici le combat du jour et de la nuit. »
Victor HUGO (1802-1885), mot de la fin, 22 mai 1885, parismuseescollections.paris.fr
Citation connue, très hugolienne dans la forme (alexandrin) et le fond (opposition de contrastes), murmurée avant son dernier souffle, non sourcée, mais inscrite sur la porcelaine d’une assiette vendue par les Musées de Paris à la mémoire du poète. Il dit encore : « Je vois la lumière noire ». Et il ferma les yeux… Cela rappelle la fin de Goethe, plus grand poète allemand et tout aussi romantique : « Mehr Licht ! » « Plus de lumière ! »
« Je donne cinquante mille francs aux pauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard. Je refuse l’oraison de toutes les églises ; je demande une prière à toutes les âmes. Je crois en Dieu. »
Victor HUGO (1802-1885), dernière lettre en forme de testament. Actes et Paroles, Depuis l’exil. 1885
22 mai. L’annonce de la mort du poète donne aussitôt lieu à des manifestations de deuil populaire : « Des ouvriers se découvrirent respectueusement, des vieillards se mirent à pleurer silencieusement, des grandes dames coudoyant des femmes du peuple s’unirent à elles dans un même sentiment de désespoir. » On voit apparaître aux fenêtres des drapeaux tricolores portant un ruban de crêpe. 23 mai, les journaux parisiens paraissent avec un cadre noir en première page.
24 mai 1885, la Chambre des Députés vote l’organisation de funérailles nationales : 415 voix sur 418. L’inhumation au Panthéon que le Second Empire a rendu au culte fait polémique. Le gouvernement se rallie à cette proposition par un décret publié dans le Journal officiel du 27 mai. Suite à ce décret, le Panthéon sera définitivement désacralisé.
Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante.2480
Inscription au fronton du Panthéon
Le gouvernement organise de grandes funérailles nationales qui permettent de réaffirmer l’unité de la nation, Hugo étant célébré comme un symbole de la République. Son cercueil est exposé une nuit sous l’Arc de triomphe de l’Étoile, voilé de noir. Le lendemain 1er juin 1885, dix jours après sa mort, la cérémonie débute à 10 h 30, avec le tir de 21 salves de canon depuis l’hôtel des Invalides. 19 orateurs prononcent des discours. La procession descend l’avenue des Champs-Élysées, passe place de la Concorde, emprunte les boulevards Saint-Germain et Saint-Michel, pour rejoindre la rue Soufflot qui mène au Panthéon.
Toute la France est présente (délégations officielles et peuple venu lui rendre un dernier hommage). Selon les sources, on estime la foule de 1 à 3 millions de personnes (entre le cortège proprement dit et la foule massée le long du parcours).
7. Vie privée de l’homme public : père endeuillé, grand-père comblé, homme sexuellement insatiable.
« Dieu m’ôte la famille »,
Victor HUGO (1802-1885), Le Deuil, poème. L’Année terrible (1873)
« Hier j’étais proscrit. Vingt ans, des mers captif,
J’errai, l’âme meurtrie ; / Le sort nous frappe, et seul il connaît le motif.
Dieu m’ôta la patrie.
Aujourd’hui je n’ai plus de tout ce que j’avais / Qu’un fils et qu’une fille ;
Me voilà presque seul dans cette ombre où je vais ;
Dieu m’ôte la famille. »
Il a perdu Léopoldine sa fille préférée, morte noyée à 19 ans (4 septembre 1843). C’est le drame de sa vie, il frôlera la folie. Charles son premier fils meurt à 44 ans d’une embolie (AVC), une semaine avant la Commune (13 mars 1871). Son second fils François-Victor, mourra de la tuberculose à 45 ans en 1873. Adèle H., sa fille folle, « plus morte que les morts » est internée. Il est veuf d’Adèle son épouse, morte en 1868. La fidèle Juliette Drouet vivant dorénavant sous son toit mourra deux ans avant lui, le 11 mai 1883.
Il lui reste ses deux petits-enfants (nés de son fils Charles), Georges et Jeanne, pour les couvrir de tendres alexandrins et cultiver « l’art d’être grand-père » en 27 poèmes, autant de courtes histoires. Citons en deux, pour le plaisir.
« Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
J’allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
Et lui glissai dans l’ombre un pot de confiture (…) »Victor HUGO (1802-1885), « Jeanne était au pain sec », poème, L’Art d’être grand-père (1877)
La fin de l’histoire est charmante. Le vieil homme est grondé pour avoir enfreint la discipline familiale :
« — L’ordre est troublé par vous; le pouvoir se détend ; / Plus de règle. L’enfant n’a plus rien qui l’arrête.
Vous démolissez tout. Et j’ai baissé la tête, / Et j’ai dit: — Je n’ai rien à répondre à cela,
J’ai tort. Oui, c’est avec ces indulgences-là / Qu’on a toujours conduit les peuples à leur perte.
Qu’on me mette au pain sec. —Vous le méritez, certes,
On vous y mettra. Jeanne alors, dans son coin noir, / M’a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l’autorité des douces créatures: / — Eh bien moi, je t’irai porter des confitures. »
« (…) J’ai devant les césars, les princes, les géants
De la force debout sur l’amas des néants,
Devant tous ceux que l’homme adore, exècre, encense,
Devant les Jupiters de la toute-puissance,
Été quarante ans fier, indompté, triomphant ;
Et me voilà vaincu par un petit enfant. »Victor HUGO (1802-1885), « Victor, sed victus », poème, L’Art d’être grand-père (1877)
Notons le jeu de mots avec le prénom d’Hugo et le Vae Victis (Malheur aux vaincus) des Romains. Reste la conclusion du recueil, infiniment simple et touchante à la fois : « Je prendrai par la main les deux petits enfants / Je n’ai point d’autre affaire ici-bas que d’aimer. »
Victor Hugo, « un bonhomme simplement exquis » selon son ami Flaubert, a vieilli. Sa voix a faibli, sa vue baisse, l’audition aussi. Il reste malicieux, cela agaçait Sainte-Beuve en son temps, notant que le poète était « gai, presque trop gai. » Pourtant il s’ennuie, il pense à Guernesey, à l’immensité de l’océan, et confie à Judith Gautier, la fille de son vieil ami Théophile, qu’il songe sérieusement à retourner y vivre. Mais Paris a d’autres attraits.
On reprend Ruy Blas et Sarah Bernhardt rejoue la Reine en 1879. C’est peut être l’un « de ses derniers incendies » pour reprendre une formule de Pablo Picasso. Ce détail de l’histoire fait toujours débat. Hugo consigne ses innombrables conquêtes sur un carnet codé, il note les performances. Il note tout, pour l’Histoire.
Reste la face plus sombre de l’homme, le sexe qui l’emporte sur l’esprit et devient obsession quasi baudelairienne.
« O nuit, toi qui lascive et monstrueuse attises
Les soifs, les appétits, les sombres convoitises
La volupté, le mal, les noirs regards impurs
La louve au fond des bois, la fille au coin des murs ! »« O nuit, toi qui lascive et monstrueuse attises
Les soifs, les appétits, les sombres convoitises
La volupté, le mal, les noirs regards impurs
La louve au fond des bois, la fille au coin des murs ! »Victor HUGO (1802-1885), Exposition « Éros Hugo. Entre pudeur et excès » - Maison de Victor Hugo. 6, place des Vosges 75005 Paris
Le commissaire de l’exposition précise : « Cette violence touche à la fois aux passions de Victor Hugo qui fut un grand amoureux et à sa sexualité, qu’on s’est complu à présenter comme frénétique. Elle touche à certaines qualités de son œuvre : la puissance, la générosité, le lyrisme. » Elle a évolué avec le temps, mais il semble l’avoir surtout subie. Ces vers, retrouvés au milieu de papiers en vrac non classés, en témoignent. Et cette phrase en forme d’aveu : « Ce qu’on appelle passion, volupté, libertinage, débauche, n’est pas autre chose qu’une violence que nous fait la vie. »
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