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Voltaire incarne le siècle des Lumières avec une très longue vie (83 ans), une œuvre colossale et une hyperactivité tout terrain : « J’écris pour agir ! » dit-il.
Intellectuel engagé, philosophe humaniste, encyclopédiste par vocation, épistolier prolifique et fou de com (± 40 000 lettres), poète mondain, satirique ou épique (± 250 000 vers), pamphlétaire par nature, dramaturge (célèbre en son temps pour ses ± 50 tragédies), conteur (indémodable), journaliste (extra) lucide qui voit venir la Révolution sans la souhaiter, historien novateur au style personnel (parfois comparé à Michelet), voyageur forcé (en exil) ou en visite et toujours curieux de tout, à commencer par la monarchie constitutionnelle en Angleterre…
Éternel combattant, il défend la liberté de conscience, se faisant l’avocat de causes qu’il rend célèbres : Calas, Sirven, le chevalier de La Barre… Il entretient avec Dieu une relation complexe : déiste, anticlérical, mais pas athée. Sa seule religion est la tolérance et en cela, Voltaire salué par la Révolution nous donne encore des leçons.
C’est aussi un homme heureux de vivre (reflet de son siècle), maniant l’ironie et l’humour avec un art consommé, faisant carrière en divers domaines et parfait gestionnaire, fier de sa réussite et sa célébrité internationale. Il prend le temps d’aimer les femmes, le théâtre, la (bonne) société, les cafés à la mode (le Procope), les salons, la conversation (fût-ce avec un « despote éclairé », Frédéric II de Prusse). Devenu l’ « aubergiste de l’Europe » en son domaine de Ferney, irrésistiblement plaisant et jouant toujours de ses atouts, il est pour tout cela aimé… ou détesté.
Au passif du grand homme : ses tragédies devenues injouables (c’était le genre noble et il s’obstinait à versifier, aveuglé par le succès) ; un opportunisme parfois gênant avec un désir de plaire à la limite du cabotinage ; l’acharnement contre Rousseau entre autres cibles ; le mépris (ou la peur ?) du peuple assimilé à la « populace » ; un opportunisme de courtisan trop adroit pour être tout à fait honnête ; une forme de racisme et d’antisémitisme aujourd’hui choquante.
Premier panthéonisé par la Révolution avec son meilleur ennemi Rousseau, il a quand même bien mérité de la Patrie et reste dans notre mémoire collective, étonnamment vivant, présent, actuel !
Faire son portrait en quelques pages et quelques dizaines de citations est un pari à la fois impossible et indispensable. Au final, un défi passionnant. À vous de juger !
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1. Autoportrait et philosophie de Voltaire : plus lucide que complaisant, avec une part de vraie fausse modestie.
« Je suis flexible comme une anguille et vif comme un lézard et travaillant toujours comme un écureuil. »1014
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à d’Argental, 22 octobre 1759, Correspondance (posthume). Dictionnaire de français Littré, au mot « travaillant »
Une de ses quelque 40 000 lettres ! Autoportrait du sexagénaire, bien que de santé précaire et sachant se ménager, en se refusant tout excès. Pour l’anecdote, il est devenu végétarien « par conviction philosophique », mais c’était aussi une forme de frugalité devenue naturelle. En revanche, ce grand travailleur usait et abusait du café, dépassant Balzac célèbre « accro au café » comme au travail, avec ses quelque 50 tasses quotidiennes (et mort d’une maladie cardiaque à 51 ans). Voltaire sirotait ses 70 tasses quotidiennes, habitué du café Procope et en bonne compagnie littéraire ou féminine. C’était plutôt chez lui un signe de convivialité, une manière de communiquer, dirait-on aujourd’hui.
De son adolescence libertine et frondeuse à sa « retraite frénétique », le personnage déborde d’une activité voyageuse, européenne, batailleuse, mondaine, courtisane, épistolière, théâtrale, politique, économique, scientifique, sociale, agronomique, encyclopédique, et naturellement philosophique. D’où une œuvre pléthorique : « Moi, j’écris pour agir » : titre de cette vie de Voltaire (2008) signée Max Gallo.
« Oh ! le bon temps que ce siècle de fer ! »1019
VOLTAIRE (1694-1778), Le Mondain (1736). Satires
Contre Fénelon et bientôt Rousseau, en cousin de l’heureux Montesquieu et du fou de vie qu’est Diderot, Voltaire dit son bonheur de vivre à son époque : « Le paradis terrestre est où je suis. » Mais il le dit ici en épicurien et provocateur, saluant « le superflu, chose très nécessaire […] tant décrié par nos tristes frondeurs : / Ce temps profane est tout fait pour mes mÅ“urs. » Jolie profession de foi. Il en est d’autres plus violentes…
« Écrasons l’infâme. »1020
VOLTAIRE (1694-1778). Dictionnaire de français Larousse, au mot « infâme »
Formule souvent reprise, notamment dans ses lettres à son ami d’Alembert et aux autres encyclopédistes. L’infâme, c’est l’intolérance (religieuse) sous toutes ses formes, la superstition, le fanatisme, ce contre quoi il se battra toute sa vie. Flaubert écrira (Correspondance) : « J’aime le grand Voltaire autant que je déteste le grand Rousseau… Son « Écrasons l’infâme » me fait l’effet d’un cri de croisade. Toute son intelligence était une machine de guerre. »
« Cultivons notre jardin. »1021
VOLTAIRE (1694-1778), Candide (1759)
Conclusion du conte, non sans rapport avec les soucis du jardinier qui vient d’acheter près de la frontière suisse le château de Ferney, refuge en cas de condamnation par la censure, appelé à devenir un vaste domaine, aussi prospère que bien fréquenté par la bonne société européenne.
La formule est surtout symbolique et souvent mal comprise. C’est tout sauf de l’égoïsme : « notre jardin », c’est le monde. Et si la Providence se désintéresse des hommes, il leur appartient d’agir et de rendre meilleur leur « jardin », de faire prospérer leur terre, d’y travailler pour le progrès. C’est presque un credo écologique, avant la lettre.
« Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent. »1023
VOLTAIRE (1694-1778), Zadig ou la destinée (1747)
Autre conte philosophique inspiré d’un conte persan, publié par prudence sous un pseudonyme. La plupart de ses confrères ont agi de même, notamment le premier philosophe des Lumières, Montesquieu auteur des Lettres persanes (le Persan était furieusement à la mode, histoire de prendre ses distances avec le pouvoir et les mœurs de la France.
Ainsi parle Zadig, « celui qui dit la vérité », alias Voltaire. Quand la Révolution va mettre au Panthéon le grand homme (seul à partager cet honneur avec Rousseau), sur son sarcophage qui traverse Paris le 11 juillet 1791, on lira : « Il défendit Calas, Sirven, La Barre, Montbailli. » Plus que le philosophe réformateur ou le théoricien spéculateur, la Révolution honore l’« homme aux Calas », l’infatigable combattant pour que justice soit faite.
Dans son Dictionnaire philosophique et en divers essais, Voltaire se bat pour une réforme de la justice, dénonce les juges qui achètent leurs charges et n’offrent pas les garanties d’intelligence, de compétence et d’impartialité, se contentant de présomptions et de convictions personnelles. Il réclame que tout jugement soit accompagné de motifs et que toute peine soit proportionnelle au délit.
« Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. »1024
VOLTAIRE (1694-1778), Épîtres
Autre trait de son caractère combattant ! Déiste fervent, Voltaire s’oppose aux encyclopédistes athées (Diderot, d’Holbach). Il croit à « l’éternel géomètre », l’« architecte du monde » : « L’univers m’embarrasse et je ne puis songer / Que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger. »
Il trouve par ailleurs une grande utilité à Dieu qui fonde la morale : « Je veux que mon procureur, mon tailleur, mes valets croient en Dieu ; et je m’imagine que j’en serai moins volé. » Mais Voltaire s’en prend à la religion qui crée l’intolérance et en France, au catholicisme qui bénéficie de l’appui du pouvoir civil.
« S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, le despotisme serait à craindre ; s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente, et elles vivent en paix et heureuses. »1025
VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques, ou Lettres anglaises (1734)
L’auteur admire le régime anglais qu’il eut tout loisir d’étudier, en trois ans d’exil. Il expose les leçons que la France peut en tirer en maints domaines (religion, économie, politique).
« Il en a coûté sans doute pour établir la liberté en Angleterre ; c’est dans des mers de sang qu’on a noyé l’idole du pouvoir despotique ; mais les Anglais ne croient pas avoir acheté trop cher leurs lois. »1026
VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques, ou Lettres anglaises (1734)
« Le fruit des guerres civiles à Rome a été l’esclavage et celui des troubles d’Angleterre, la liberté. La nation anglaise est la seule de la Terre qui soit parvenue à régler le pouvoir des rois en leur résistant […] Les guerres civiles de France ont été plus longues, plus cruelles, plus fécondes en crimes que celles d’Angleterre ; mais de toutes ces guerres civiles, aucune n’a eu une liberté sage pour objet. »
Ces Lettres philosophiques de 1734 – « première bombe lancée contre l’Ancien Régime » selon l’historien Gustave Lanson – sont publiées sans autorisation. L’imprimeur est aussitôt embastillé, le livre condamné par le Parlement à être brûlé, comme « propre à inspirer le libertinage le plus dangereux pour la religion et la société civile ». Une lettre de cachet du 3 mai exile l’auteur en Lorraine – la province ne sera française qu’en 1766. Le château de Cirey et Mme du Châtelet accueillent Voltaire, à quelques lieues de la frontière : à la moindre alerte, le philosophe peut fuir. Il y séjourne quinze ans, le temps d’une complicité intellectuelle et amoureuse avec la marquise.
« Les Français ne sont pas faits pour la liberté : ils en abuseraient. »1027
VOLTAIRE (1694-1778), Faits singuliers de l’histoire de France
Ce n’est pas seulement un trait d’humour. Malgré son amour de l’humanité, il se méfie de la « populace » : « Il me paraît nécessaire qu’il y ait des gueux ignorants […] Ce n’est pas le manÅ“uvre qu’il faut instruire, c’est le bon bourgeois, c’est l’habitant des villes » (Lettre à M. Damilaville, 1er avril 1766). Et dans son Dictionnaire philosophique portatif, ou la raison par l’alphabet : « Distingue toujours les honnêtes gens qui pensent, de la populace qui n’est point faite pour penser. » C’est clairement un rejet du peuple, ce qui lui sera reproché… mais ne l’empêchera pas d’être panthéonisé par la Révolution, pour d’autres (bonnes) raisons. C’est toute la complexité et la subtilité de Voltaire.
« Le peuple ressemble à des bœufs, à qui il faut un aiguillon, un joug, et du foin. »1028
VOLTAIRE (1694-1778), Correspondance, 17 avril 1765
Courtisé en tout temps par les démagogues, en attendant d’être divinisé par la Révolution, le peuple est souvent assimilé à la populace et ouvertement méprisé par le mondain Voltaire. De tous les philosophes, il n’est pas le plus aristocratique - comparé à Montesquieu, authentique seigneur féodal de la Brède. Mais c’est assurément le moins « peuple », s’opposant en cela à Rousseau, entre autres raisons !
Dans la même veine et la même source, lettre du 19 mars 1766 : « Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas instruit ; il n’est pas digne de l’être. »
« Les mortels sont égaux, ce n’est pas la naissance
C’est la seule vertu qui fait la différence. »1029VOLTAIRE (1694-1778), Mahomet ou Le Fanatisme (1741)
Ces deux vers seront « la citation reine de la Révolution » (Mona Ozouf). Pour les révolutionnaires, tout n’est pas bon à prendre chez ce courtisan porté à l’hédonisme et peu enclin à la démocratie, à l’égalité sociale, à la révolution du genre « table rase ». Mais on met volontiers Voltaire en slogans, prenant de-ci de-là , dans des tragédies aujourd’hui oubliées, quelques vers bien frappés, sonores comme des médailles : « Je porte dans mon cœur / La liberté gravée et les rois en horreur. » Ou encore : « Si l’homme a des tyrans, il doit les détrôner. » Ou : « À tous les cœurs bien nés, que la patrie est chère. » On ne citerait pas ainsi Montesquieu ni Rousseau, auteurs de systèmes plus cohérents sur le fond, mais pesants dans leur forme. Le style est un atout de Voltaire. C’est même l’un des auteurs les plus tentants à citer – comme Hugo, dans un autre genre.
« Il faut bien quelquefois se battre contre ses voisins, mais il ne faut pas brûler ses compatriotes pour des arguments. »1030
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Gallitzin, 19 juin 1773
La grande ennemie de la civilisation est la guerre, « boucherie héroïque » qui détruit le vainqueur comme le vaincu. Mais il y a pire encore, l’intolérance, la plus terrible erreur politique aux yeux de Voltaire. Sous sa forme religieuse, elle fait encore trop de victimes en France, au siècle dit des Lumières.
« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »1031
VOLTAIRE (1694-1778), citation apocryphe
L’œuvre immense et protéiforme de cet auteur philosophe est riche en bons et beaux mots ! Cette phrase non sourcée, sans doute jamais écrite, peut-être dite, reflète l’homme, sa pensée, sa vie et même son style. D’où la fortune historique et somme toute méritée de cette citation apocryphe.
« J’ai fait un peu de bien ; c’est mon meilleur ouvrage. »1022
VOLTAIRE (1694-1778), Épîtres, À Horace
Fausse modestie et vrai constat. À côté de l’œuvre philosophique, quelle vie prodigieusement active ! Donnons un dernier exemple, indiscutablement heureux, à l’actif du personnage protéiforme.
Son sens des affaires lui permit de « civiliser » la région de Ferney. Le sexagénaire fait assécher les marais, bâtir des maisons, construire un théâtre et une église, planter des arbres, créer des prairies artificielles, utiliser des semoirs perfectionnés, développer l’élevage. Il installe une tannerie, une fabrique de bas de soie que Mme de Choiseul (femme du ministre et ami) présente à la cour, et des montres que nos ambassadeurs recommandent à l’étranger. Il délivre le pays de la gabelle (impôt indirect sur le sel) et le patriarche de Ferney se retrouve acclamé en bienfaiteur : « Un repaire de quarante sauvages est devenu une petite ville opulente habitée par douze cents personnes utiles », écrit Voltaire.
2. Personnage clivant, admiré ou détesté par ses contemporains et très diversement jugé par les générations suivantes.
« Ce n’est pas seulement un esprit qu’il a [Voltaire], ce sont tous les esprits ensemble qui reviennent dans son crâne et y tiennent le Sabbat. »1015
Président de BROSSES (1709-1777), Lettre à son cousin Loppin de Gémeaux, 4 janvier 1759. Le Siècle des Lumières (1968), Jean-Marie Goulemot, Michel Launay, Georges Mailhos
Premier président du Parlement de Dijon, ce magistrat indépendant et frondeur, deux fois exilé sur ses terres, est doué d’assez d’esprit pour apprécier celui de Voltaire. Il n’est naturellement pas le seul…
« L’on peut dire, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, que M. de Voltaire valait seul toute une Académie. »
FREDERIC II roi de Prusse (1712-1786), Éloge de Voltaire, lu à l’Académie des sciences et Belles-Lettres de Berlin en 1778
Despote éclairé, Frédéric le Grand entre en correspondance avec le plus illustre de nos philosophes en 1750. Une réelle amitié naît entre eux. Voltaire est reçu en invité de marque au palais d’été de Sanssouci. Hébergé et choyé par le souverain prussien, il est chargé de revoir ses poèmes… Mais son irrévérence et son esprit frondeur lui font vite oublier l’étiquette. Les tensions et les brouilles se multiplient, il quitte la cour en 1753, arrêté à Francfort en compagnie de Madame Denis, une de ses très chères amies venue le rejoindre. Il ne parvient à s’échapper qu’un mois plus tard. Il continuera pourtant à correspondre avec Frédéric II.
« Savez-vous, Monsieur, ce qui fait que je vous trouve un grand philosophe ? C’est que vous êtes devenu riche ! Tous ceux qui disent qu’on peut être heureux et libre dans la pauvreté sont des menteurs, des fous et des sots. »
Mme du DEFFAND (1697-1780), Lettre à Voltaire, 28 octobre 1759
La marquise est l’amie des philosophes et tient salon comme ses consœurs et parfois rivales, Mme de Lambert, Mme de Tencin, Mme Geoffrin, Mlle de Lespinasse. D’abord littéraires et mondains, puis philosophiques, ces salons toujours tenus par des femmes sont lieux de rencontre, de conversation et de partage, où les idées nouvelles circulent cependant que les réputations se font et se défont.
« Je le haïrais davantage, si je le méprisais moins. »
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Lettre du 29 janvier 1760 à son ami Paul Moulton
Rousseau et Voltaire s’opposent en presque tout – origine sociale, mode de vie, pensée philosophique et caractère. Solitaire et asocial, souffrant d’une authentique maladie de la persécution, Jean-Jacques a mal supporté les attaques de Voltaire, auréolé de sa réussite sociale et sa gloire européenne, mais pire encore armé d’un humour sans borne. Rappelons les termes du jugement voltairien visant le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, point de départ de la philosophie politique de Rousseau qui annonce déjà le Contrat social : « J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain… On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. » Lettre à Jean-Jacques Rousseau, 30 août 1755.
Cinq ans plus tard, Rousseau (né en Suisse) reçoit une lettre de son ami Paul Moulton qui a osé évoquer le nom abhorré, Voltaire s’étant réfugié dans ce pays voisin pour fuir la censure. L’écorché vif lui répond, animé d’une forme de délire : « Vous me parlez de ce Voltaire ? Pourquoi le nom de ce baladin souille-t-il vos lettres ? Le malheureux a perdu ma patrie ; je le haïrais davantage, si je le méprisais moins. Je ne vois dans ses grands talents qu’un opprobre de plus, qui le déshonore par l’indigne usage qu’il en fait. Ô Genevois ! il vous paie bien de l’asile que vous lui avez donné, il ne savait plus où aller faire du mal, vous serez ses dernières victimes. »
« Plus bel esprit que grand génie,
Sans loi, sans mœurs et sans vertu,
Il est mort comme il a vécu,
Couvert de gloire et d’infamie. »1230Épigramme, juin 1778, attribuée à Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), à la mort de Voltaire. Mémoires sur Voltaire et sur ses ouvrages (1826), Sébastien Longchamp
Rousseau mourra deux mois après, à Ermenonville. Fin d’une longue guérilla philosophico-polémique, qui ne fit honneur à aucun des deux personnages, si talentueux (ou géniaux) fussent-ils. Le Panthéon réunira bientôt les deux frères ennemis, sous la Révolution reconnaissante à ces deux philosophes.
« Avec Voltaire, c’est un monde qui finit. Avec Rousseau, c’est un monde qui commence. »1032
GOETHE (1749-1832). Encyclopædia Universalis, article « Voltaire »
Le siècle de raison va céder le pas au siècle des passions. Voltaire exprime et résume le XVIIIe siècle avec son ardente humanité, sa vocation à l’universel, sa sagesse, sa défense des libertés, des droits formels. Rousseau annonce le XIXe avec l’égalité, la fraternité, la fibre civique, les droits réels.
Brouillés « à mort » dans la vie, Voltaire et Rousseau seront réconciliés devant l’éternité par la même « panthéonisation » d’une Révolution qui rend ainsi hommage à tout le siècle philosophique.
« Voltaire, adroit plagiaire, qui eut l’art d’avoir l’esprit de tous ses devanciers, et qui ne montra d’originalité que dans la finesse de ses flagorneries, écrivain scandaleux qui pervertit la jeunesse par les leçons d’une fausse philosophie, et dont le cÅ“ur fut le trône de l’envie, de l’avarice, de la malignité, de la vengeance, de la perfidie et de toutes les passions qui dégradent la nature humaine ! »495
Jean-Paul MARAT (1743-1793), 6 avril 1791, l’Ami du Peuple. Histoire des causes de la Révolution française (1856), Bernard Adolphe Granier de Cassagnac
Marat qui incarne authentiquement le Peuple sous la Révolution ne peut que détester tout ce que représente Voltaire au siècle des Lumières. Commenter serait superflu : « Tout ce qui est excessif est insignifiant » a dit Talleyrand, notre plus grand diplomate français né au siècle des Lumières.
« D’autres cyniques étonnèrent la vertu, Voltaire étonne le vice […] Paris le couronna, Sodome l’eût banni. »1018
Joseph de MAISTRE (1753-1821), Les Soirées de Saint-Pétersbourg (1821)
Philosophe, élève des jésuites, adversaire résolu de la Révolution, aussi fervent monarchiste que catholique, il s’oppose aux « idéologues » et au premier d’entre eux, Voltaire : « Il se plonge dans la fange, il s’y roule, il s’en abreuve ; il livre son imagination à l’enthousiasme de l’enfer qui lui prête toutes ses forces pour le traîner jusqu’aux limites du mal. Il invente des prodiges, des monstres qui font pâlir. » C’est peut-être un peu excessif, mais… Voltaire en aurait souri.
« Voltaire, plein de boursouflure, de clinquant ; toujours faux, ne connaissant ni les hommes ni les choses, ni la vérité, ni la grandeur des passions. »
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Mémorial de Sainte-Hélène (1824)
L’Empereur fera fort peu de cas du personnage, de l’homme comme de l’œuvre qui ose tout et ne respecte aucune autorité. Mais il n’apprécie aucun philosophe des Lumières et surtout pas Rousseau qu’il traitera finalement de fou, en tant que responsable du pire de la Révolution.
« Voltaire, quel que soit le nom dont on le nomme
C’est un cycle vivant, c’est un siècle fait homme ! »1016Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Première méditation (1820)
Avec des accents hugoliens, le poète du siècle romantique rend justice à l’homme et au philosophe. Le « roi Voltaire » a tout vu, tout vécu dans son siècle : la cour et ses plaisirs, mais aussi ses désillusions, la Bastille et ses cachots, l’exil, les salons et les succès mondains et financiers, l’Europe avec le bonheur en Angleterre, le piège en Prusse, la vie de château à Ferney où il joue l’« aubergiste de l’Europe », la lutte incessante pour ses idées (liberté, justice, tolérance) et la défense des victimes de l’arbitraire. Un CV digne de respect !
« Voltaire alors régnait, ce singe de génie
Chez l’homme en mission par le diable envoyé. »1017Victor HUGO (1802-1885), Les Rayons et les ombres (1840)
L’hommage nuancé s’explique : si différents que soient les deux personnages, si opposée même leur nature, ils furent l’un et l’autre à l’image de leur temps, entrant vivants dans la légende après s’être jetés dans toutes les luttes.
Hugo s’amuse aussi à rapprocher Voltaire et Rousseau les confrères ennemis, lors d’un fait divers tragique qu’il situe dans sa plus célèbre fresque historique.
« Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à Rousseau. »Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1840)
Derniers mots de Gavroche, le plus populaire des gamins de Paris qui meurt en chantant sur une barricade de la rue de la Chanvrerie le 6 juin 1832 - première insurrection républicaine sous la Monarchie de Juillet.
« Le génie mérite qu’on le salue, mais il doit souffrir qu’on le juge. Il n’y a d’inviolable au monde que la justice et la vérité. Non, Voltaire n’aima pas assez le peuple. »
Louis BLANC (1811-1882), Histoire de la Révolution française (1847)
Journaliste et historien, socialiste et républicain, il représente cette gauche qui se bat désormais pour le peuple, l’amélioration de ses conditions de vie et de travail. Du moins reconnaît-il du génie à cet homme assurément de droite, selon les critères politiques : « Voltaire n’était pas fait pour chercher dans une révolution politique et sociale le salut du peuple. Changer hardiment, profondément, les conditions matérielles de l’État et de la société, il n’y songeait même pas. »
« Il est impossible que Voltaire contente, et impossible qu’il ne plaise pas. »
Joseph JOUBERT (1780-1824), Pensées (1850)
Moraliste et essayiste lié à l’encyclopédiste d’Alembert et à Chateaubriand le grand auteur romantique politiquement inclassable et pratiquement toujours dans l’opposition, Joubert n’a rien publié de son vivant, mais son œuvre post mortem est importante à plus d’un titre et souvent citée. Son jugement sur Voltaire est intelligemment nuancé.
« Voltaire a introduit et mis à la mode un tel luxe, dans les ouvrages de l’esprit, qu’on ne peut plus offrir les mets ordinaires que dans des plats d’or ou d’argent. Tant d’attention à plaire à son lecteur, annonce plus de vanité que de vertu, plus d’envie de séduire que de servir, plus d’ambition que d’autorité, plus d’art que de nature, et tous ces agréments exigent plutôt un grand maître qu’un grand homme. »
Joseph JOUBERT (1780-1824), Pensées (1850)
À lire cette pensée, on peut se demander justement ce qu’en aurait pensé Voltaire ! Tout est juste, mais une fois encore nuancé. Un autre grand historien de la pensée se régale à disséquer et déguster ce mets de choix…
« Quand on ne songe qu’à l’idéal de l’agrément, à la fleur de fine raillerie et d’urbanité, on se plaît à se figurer Voltaire dans cette demi-retraite, dans ces jouissances de société qu’il rêva bien souvent, qu’il traversa quelquefois, mais d’où il s’échappait toujours. »
Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Causeries du lundi, Les lumières et les salons (1851-1862)
Suit cette très fine analyse du personnage, conforme à sa biographie complexe et mouvementée : « Il traversa bien souvent dans sa vie de ces cercles délicieux qui se formaient un moment autour de lui, qui se ralliaient à son brillant, dont il était le génie familier et l’âme, et il en sortait bientôt par quelque accident. L’accident au fond venait de lui : il tenait à un défaut et à une qualité. Le défaut, c’était le besoin d’action à tout prix, le besoin de bruit et de renommée qui ne se passait ni des intrigues, ni des manèges, et qui jouait avec les moyens scabreux : de là toute une suite d’indiscrétions, de déguisements, de rétractations, de désaveux, de mensonges, une infinité de misères. »
« À l’entendre, lui l’homme de la publicité harcelante et qui fatigua la renommée, il ne publiait jamais, presque jamais, ses livres que malgré lui, à son corps défendant. »
Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Causeries du lundi, Les lumières et les salons (1851-1862)
Et de préciser : « Il avait un secrétaire qui le volait, un ami indiscret qui colportait ses manuscrits ; le libraire pirate s’emparait de son bien en le gâtant, en le falsifiant, et force lui était alors d’imprimer lui-même ses productions et de les livrer au public dans leur sincérité. »
Mais il en va autrement de ses tragédies, trop heureux d’être joué à la Comédie-Française pour sa plus grande gloire. Il n’était pourtant pas dupe. Assistant au triomphe de sa dernière pièce Irène, lui-même statufié sur la scène du théâtre : « Quelle foule pour vous acclamer ! — Hélas, elle serait aussi nombreuse pour assister à mon supplice » dit-il.
« Voltaire est contre les majorités et les méprises ; en fait de raison, les masses lui paraissent naturellement bêtes ; il ne croit au bon sens que chez un petit nombre et c’est assez pour lui si l’on parvient à grossir peu à peu le petit troupeau. »
Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Causeries du lundi, Les lumières et les salons (1851-1862)
Dernière remarque sur l’élitisme viscéral d’un homme qui a toujours méprisé ou redouté le peuple qualifié par lui de « populace », terme naturellement péjoratif, tout en souhaitant intellectuellement et philosophiquement le progrès social, la justice et l’égalité – sinon la fraternité.
« J’aime le grand Voltaire autant que je déteste le grand Rousseau. »
Gustave FLAUBERT (1821-1880), Lettre de 1855 à Mme Roger des Genettes, Correspondance (diverses éditions)
Jugement clair, mais simpliste, même si notre plus grand écrivain réaliste du XIXe siècle reconnaît la valeur des deux confrères ennemis. Dans son roman le plus connu, Madame Bovary, il fait du pharmacien-apothicaire Mr Homais, notable de province, un athée convaincu, anticlérical passionné, disciple proclamé de Voltaire, malheureusement peu subtil.
Tout le contraire de Flaubert qui précise le fond de sa pensée dans sa Correspondance : « Inclinons-nous devant toutes ses pages. Cet homme-là me semble ardent, acharné, convaincu, superbe. Son ‘Écrasons l’infâme’ me fait l’effet d’un cri de croisade. Toute son intelligence était une machine de guerre. Et ce qui me le fait chérir, c’est le dégoût que m’inspirent les Voltairiens, des gens qui rient sur les grandes choses. Est-ce qu’il riait, lui ! Il grinçait ! » On ne saurait mieux dire, pour finir.
3. Mention spéciale au savoureux historien de notre passé (des origines au Siècle de Louis XIV) et à l’historiographe, témoin critique de son temps (Régence, règnes de Louis XV et Louis XVI).
« »Les Francs dont nous descendons. » Eh ! mon ami, qui vous a dit que vous descendez en droite ligne d’un Franc ? Hildvic ou Clodvic, que nous nommons Clovis, n’avait probablement pas plus de vingt mille hommes […] quand il subjugua environ huit ou dix millions de Welches ou Gaulois. »51
VOLTAIRE (1694-1778), Dictionnaire philosophique (1764)
Judicieuse remarque du philosophe des Lumières, quand il définit le terme de Francs. Saluons au passage l’esprit de Voltaire historien. Dans un autre genre d’esprit, on a chansonné, mais aussi remis en question « nos ancêtres les Gaulois ».
« Nos guerres civiles, sous Charles VI, avaient été cruelles, celles de la Ligue furent abominables, celle de la Fronde fut ridicule. »747
VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques (1734)
Les attendus de ce jugement sont très circonstanciés. Ainsi résume-t ’il l’essence même de la Fronde, ces cinq ans de guerre civile qui amenèrent la France au bord de la révolution : « Pour la dernière guerre de Paris, elle ne mérite que des sifflets ; le cardinal de Retz, avec beaucoup d’esprit et de courage mal employés, rebelle sans aucun sujet, factieux sans dessein, chef de parti sans armée, cabalait pour cabaler et semblait faire la guerre civile pour son plaisir. Le Parlement ne savait ni ce qu’il voulait, ni ce qu’il ne voulait pas ; il levait des troupes par arrêt, il les cassait ; il menaçait, il demandait pardon ; il mettait à prix la tête du cardinal Mazarin et ensuite venait le complimenter en cérémonie. »
Notons au passage le style de l’auteur. Autre historien styliste, Michelet, quand le sujet l’inspire : Jeanne d’Arc dont il est amoureux, la Révolution dont il est fan. Comment ne pas aimer l’Histoire (de France) quand elle nous est bien contée, comment ne pas se plaire à multiplier ce genre de citations… fort bien documentées, par ailleurs.
« Le cardinal de Retz se vante d’avoir seul armé tout Paris dans cette journée, qui fut nommée des Barricades et qui était la seconde de cette espèce. »774
VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)
Rappelons que la première fois (12 mai 1588), c’était le duc de Guise et la Ligue des ultra-catholiques contre Henri III. Et cette « seconde » journée des Barricades sera suivie de bien d’autres, après le siècle de Voltaire et des Lumières. Jusqu’à la Libération de Paris (« Paris qui n’est Paris qu’arrachant ses pavés » selon le poète Aragon) et Mai 68 (« Sous les pavés la plage », slogan anonyme, bien connu et bienvenu).
« Louis XIV le reçut comme un père et le peuple comme un maître. »796
VOLTAIRE (1694-1778) évoquant le retour de Mazarin, 3 février 1653. Le Siècle de Louis XIV (1751), Voltaire
C’est la fin de la Fronde. Le roi, majeur depuis deux ans, va laisser le cardinal gouverner la France jusqu’à sa mort, en 1661. Il va apprendre son royal métier auprès de son Premier ministre et tuteur. Mais la Fronde lui servira de leçon et explique en partie le caractère absolu de la monarchie à venir.
« Non seulement il s’est fait de grandes choses sous son règne, mais c’est lui qui les faisait. »816
VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)
Pour cette raison, le Grand Siècle est bien le « siècle de Louis XIV ». Voltaire, en historien très documenté, traite des événements militaires et diplomatiques, insiste sur le développement du commerce et le rayonnement des arts et des lettres, mettant cependant les affaires religieuses au passif du règne de ce « despote éclairé ».
« La chute de ce ministre [Fouquet] à qui on avait bien moins de reproches à faire qu’au cardinal Mazarin, fit voir qu’il n’appartient pas à tout le monde de faire les mêmes fautes. »859
VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)
Richelieu avant Mazarin et Colbert après Fouquet ont aussi profité de leur place dans l’État pour s’enrichir. Mais Fouquet voulut éblouir le roi qui voulait seul éblouir le monde, avec son impudente devise figurant dans ses armes, sous un écureuil : « Quo non ascendet ? » « Jusqu’où ne montera-t-il pas ? ».
Son arrestation est le premier acte politique du règne : Louis XIV prenant ainsi le pouvoir surprend tout son entourage.
« Fils de roi ; père de roi ; jamais roi ! »864
Horoscope de Louis de France. Le Siècle de Louis XIV (1751), Voltaire
Le Grand Dauphin (Monseigneur) naît le 1er novembre 1661. Fils aîné de Louis XIV, il sera père de Philippe V roi d’Espagne, mais meurt de la petite vérole à 50 ans, avant d’avoir pu accéder au trône.
Il n’est pas certain qu’il l’ait ardemment désiré, vu son caractère un peu mou et son éducation un peu rude. Il reporta toute la fierté de son sang royal sur son deuxième fils, le duc d’Anjou (les deux autres moururent jeunes), revendiquant l’héritage de la couronne d’Espagne, sur laquelle sa mère Marie-Thérèse d’Autriche (infante espagnole) lui a donné des droits.
Les astrologues étaient régulièrement consultés en ces époques où superstition, sorcellerie et magie faisaient partie de la vie quotidienne – le Grand Siècle est en cela plus proche de la Renaissance que des Lumières. Mais de nos jours, la classe politique reste une clientèle fidèle des devins, encore très sollicités.
« Les troupes furent envoyées dans toutes les villes où il y avait le plus de protestants ; et comme les dragons, assez mal disciplinés dans ce temps-là , furent ceux qui commirent le plus d’excès, on appela cette exécution la « dragonnade ». »898
VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)
Ces exactions durèrent cinq ans. Dès 1680, l’intendant Marillac mena en Poitou une première opération restée tristement célèbre : on fit loger des dragons chez les protestants, en leur permettant toutes sortes de sévices. Les « missionnaires bottés » obtinrent ainsi 30 000 conversions en quelques mois. Fort de ce bilan, Louvois fit étendre la mesure à toute la France. On présenta ainsi au roi de longues, d’extraordinaires listes de convertis. Ignorait-il les violences qui se cachaient derrière ? Crut-il alors que la révocation de l’édit de Nantes en 1685 ne serait plus qu’une simple formalité ?
L’influence personnelle de Mme de Maintenon joue naturellement.
« La plaie de la révocation de l’édit de Nantes saigne encore en France. »900
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre au comte de Schouvalof, 30Â septembre 1767, Correspondance
C’est le grand avocat de la tolérance religieuse qui s’exprime, mais aussi l’historien du Siècle de Louis XIV. Là est le péché capital de ce grand règne, l’impardonnable faute politique et humaine, ce sur quoi la plupart des historiens s’accordent.
L’édit de Fontainebleau du 18 octobre 1685 (enregistré le 22) révoque l’édit de Nantes (pris par Henri IV en 1598) : pasteurs bannis, écoles protestantes fermées, temples détruits, enfants des « nouveaux convertis » baptisés. Et interdiction de quitter la France sous peine de galères.
« Il n’y a plus de Pyrénées. »924
LOUIS XIV (1638-1715), quand son petit-fils devient Philippe V d’Espagne, en 1700. Le Siècle de Louis XIV (1751), Voltaire
Voltaire attribue le mot au roi, mais il a pu être également prononcé par Castel Rodrigo, ambassadeur espagnol.
Un prince de son sang succède à l’ennemi héréditaire, dans un pays certes décadent, mais encore immense avec son empire. Depuis cette date, les Bourbons règnent sur l’Espagne, jusqu’au roi actuel Felipe VI (fils de Juan Carlos).
Philippe V est royalement accueilli par ses nouveaux sujets. Fier de ce succès (remporté sur l’empereur d’Allemagne qui voulait placer son second fils, l’archiduc Charles), Louis XIV, trop sûr de lui, va multiplier les imprudences.
Les droits de Philippe V au trône de France sont maintenus, alors que l’Europe ne peut accepter une telle superpuissance ! Par ailleurs, Louis XIV reconnaît le prétendant Jacques III Stuart (fils de Jacques II détrôné par une révolution en 1688) au détriment de Guillaume III d’Angleterre. Enfin, il fait concéder par l’Espagne à une compagnie française le monopole de la traite des Noirs dans le Nouveau Monde, ce qui lèse les intérêts de toutes les puissances maritimes. La Grande Alliance de La Haye (septembre 1701) va réunir à nouveau tous les mécontents, le roi d’Angleterre en tête.
« Sire, je vais combattre les ennemis de Votre Majesté, et je vous laisse au milieu des miens. »926
Maréchal de VILLARS (1653-1734) en 1702. Le Siècle de Louis XIV (1751), Voltaire
Le maréchal de France s’adresse au roi et devant toute la cour, prenant congé pour aller commander l’armée. Turenne et Condé sont morts. Le maréchal de Luxembourg aussi. Vauban va être injustement disgracié (pour son projet fiscal de dîme royale). Villars est leur égal.
Récemment anobli, âgé de 50 ans, il entre dans la carrière militaire à l’âge où d’autres prennent leur retraite : il sera le meilleur général de la guerre de Succession d’Espagne. Première grande victoire, Friedlingen, en 1702 : ses soldats l’appellent « Maréchal » et le roi confirme le titre, mais lui refusera la fonction tant souhaitée (et abolie) de connétable. Dès 1703, les Français perdent l’avantage dans une guerre où la coalition se renforce contre eux. Et la révolte des Camisards va mobiliser Villars sur un autre front.
« Nous l’avons vu mourir fort âgé et oublié comme il arrive à tous ceux qui n’ont eu que de grands événements sans avoir fait de grandes choses. »1091
VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)
Le duc de Lauzun, maréchal de France, meurt en 1723, à 90 ans. Courtisan plein d’ambition et dépourvu de scrupules, favori de Louis XIV qui, lassé de ses impertinences, l’a fait embastiller, il épousa la Grande Mademoiselle à l’immense fortune, passa en Angleterre où il assista à la révolution de 1688, fut chargé de conduire en France la reine et le prince de Galles. Marié en secondes noces à la belle-sœur de Saint-Simon qui dit de lui : « On ne rêve pas comme il a vécu. »
« Louis XIV fit plus de bien à sa nation que vingt de ses prédécesseurs ensemble ; et il s’en faut beaucoup qu’il fît ce qu’il aurait pu. »949
VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)
Le jugement n’est pas sans nuance. « Il s’est fait de grandes choses sous son règne » qui reste dans l’histoire pour son rayonnement culturel, mais le passif est lourd, avec la révocation de l’édit de Nantes et les guerres qui succédèrent aux guerres, d’abord pour la grandeur du roi et du règne, jusqu’à la fin plus tragique : « La guerre qui finit par la paix de Ryswick commença la ruine de ce grand commerce que son ministre Colbert avait établi ; et la guerre de la Succession l’acheva. » C’est effectivement le traumatisme majeur de cette époque et tous les pays belligérants en furent marqués.
Laissons le mot de la fin à l’historien du règne qui, né en 1694, élève des jésuites au lycée Louis-le-Grand, inquiétant déjà ses maîtres par un esprit libertin, poète mondain et génie précoce, va devenir le philosophe numéro un du siècle des Lumières : malgré toutes les ombres au tableau du siècle de Louis XIV, Voltaire y voit « le siècle le plus éclairé qui fut jamais ».
Mais Voltaire est également historien de son temps et témoin à l’esprit toujours critique. Pour preuve, quelques perles ironiques et quelques vérités devenues historiques.
« Les rois sont avec leurs ministres comme les cocus avec leurs femmes : ils ne savent jamais ce qui se passe. »952
VOLTAIRE (1694-1778), Le Sottisier (posthume, 1880)
Louis XV s’intéressa sans doute tardivement à son métier de roi – les historiens sont partagés sur ce point. Louis XVI, très consciencieux, fut vite dépassé par la situation et la complexité des problèmes. Mais les ministres eux-mêmes sont fort peu au courant de l’état du royaume, faute de bonnes enquêtes et statistiques pour éclairer leur politique.
« En France est marquis qui veut ; et quiconque arrive à Paris du fond d’une province avec de l’argent à dépenser, et un nom en ac ou en ille, peut dire : « Un homme comme moi, un homme de ma qualité », et mépriser souverainement un négociant. »961
VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques, Sur le commerce (1734)
La noblesse reste ce cercle magique où l’on tente d’accéder, et qui fascine encore la bourgeoisie. Voltaire le déplore : « Le négociant entend lui-même parler si souvent avec mépris de sa profession, qu’il est assez sot pour en rougir », alors que ce « tiers état » est bien plus utile à l’État.
« Il a fallu des siècles pour rendre justice à l’humanité, pour sentir qu’il était horrible que le grand nombre semât, et le petit recueillît. »964
VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques (1734)
Le philosophe parle au nom de la justice sociale pour l’ensemble du peuple qui travaille, et surtout pour les « laboureurs qui exercent la plus noble et la plus méprisée des professions ». Il donne en exemple l’Angleterre : absence de privilèges terriens et égalité devant l’impôt. La réalité économique est tout autre en France – d’où la Révolution à venir.
« Toutes ces maîtrises et toutes ces jurandes n’ont été inventées que pour tirer de l’argent des pauvres ouvriers, pour enrichir les traitants et pour écraser la nation. »969
VOLTAIRE (1694-1778) stigmatisant les corporations en 1776, Correspondance (posthume). Encyclopædia Universalis, article « Corporations »
Turgot, partisan de la liberté du travail dans l’industrie aussi bien que dans le commerce et l’agriculture, abolit les corporations, maîtrises et jurandes en janvier 1776. Elles seront rétablies aussitôt après son départ, en mai 1776. Toute l’économie se trouve ainsi prisonnière de réglementations jadis utiles et à présent paralysantes.
« La jurisprudence d’Espagne est précisément comme celle de France : on change de lois en changeant de chevaux de poste, et on perd à Séville le procès qu’on aurait gagné à Saragosse. »970
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à M. Servan, avocat général de Grenoble, 13 janvier 1768. Dictionnaire de français Littré, au mot « perdre »
Cela traduit la diversité des lois selon les provinces. À la fin du règne de Louis XV, les parlementaires ayant été exilés, le ministre Maupeou projette une vaste réforme et un code unique. Mais plus rien ne sera possible, après le retour des magistrats rappelés par Louis XVI. Cette fois encore, la grande réforme ne pourra se faire qu’avec la Révolution.
« Messieurs les Anglais, tirez les premiers. »1122
Comte d’ANTERROCHES (1710-1785), à Lord Charles Hay, Fontenoy, 11 mai 1745. Précis du siècle de Louis XV (1763), Voltaire
Ce mot célèbre, cité par ailleurs dans une Histoire de l’armée d’Adrien Pascal (1847), résume le bref dialogue rapporté par Voltaire.
Suite de la guerre de Succession d’Autriche, lors d’un siège mené par les Français près de Tournai. Le commandant de la compagnie de tête des gardes anglaises a lancé : « Messieurs des gardes françaises, tirez. » Le commandant des gardes françaises lui répondit : « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers. Tirez vous-mêmes. »
Cette réplique, plus tactique qu’il n’y paraît, est moins l’illustration d’une guerre en dentelle que l’expression d’un impératif militaire : quand une armée a tiré, le temps qu’elle recharge ses armes, l’ennemi peut attaquer avec profit. C’est pourquoi le maréchal de Saxe, le plus grand militaire du siècle des Lumières, dénonçait les « abus de tirerie ».
« Ils finiront par perdre l’État. C’est une assemblée de républicains ! »1134
LOUIS XV (1710-1774), à Mme de Pompadour et au duc de Gontaut (son frère), janvier 1753. Précis du siècle de Louis XV (1763), Voltaire
« Républicains », c’est un grand mot, presque un gros mot, en tout cas un mot qui fait peur au roi, sinon à Voltaire ! Il parle ici du Parlement de Paris et de son opposition qui s’exerce à toute occasion, avec une violence qui ne cessera de grandir jusqu’à la Révolution.
Rétablis dans leur pouvoir sous la régence, les Parlements usent et abusent de leur droit de remontrance. Les hauts magistrats, soutenus par le mouvement des philosophes et de l’Encyclopédie, font figure de défenseurs des libertés face au despotisme. Ils défendent en fait les privilèges contre les réformes royales (notamment en matière fiscale).
Le roi, en raison de sa piété, a plus d’égard pour le clergé qui agit de la même manière. Machault d’Arnouville qui succède à Orry aux Finances en 1745 ne pourra décidément pas obtenir cet impôt dit du vingtième et frappant tous les biens, quand l’État a de nouveau tant besoin d’argent.
4. Voltaire, auteur et acteur super star du siècle des Lumières : chronique des faits et des idées.
« Voici le temps de l’aimable Régence,
Temps fortuné marqué par la licence. »1069VOLTAIRE (1694-1778), La Pucelle, chant XIII (posthume, 1859)
Le jeune libertin néglige ses études de droit et se fait une réputation de bel esprit dans les salons, au grand dam de son père. Il salue le nouveau régime, en décasyllabes allègres : « Le bon Régent, de son Palais-Royal / Des voluptés donne à tous le signal… »
L’arrivée de Philippe d’Orléans au pouvoir libère d’un coup les mœurs d’une société lasse du rigorisme imposé par Mme de Maintenon à la cour, laquelle donnait le ton au pays.
Cependant, la fête concerne les classes privilégiées, plus que le peuple. Et la licence a des limites. Voltaire l’apprendra à ses dépens, deux ans après, mis au cachot pour excès d’insolence.
« Me voici donc en ce lieu de détresse,
Embastillé, logé fort à l’étroit,
Ne dormant point, buvant chaud,
Mangeant froid. »1071VOLTAIRE (1694-1778), La Bastille (1717), Poésies diverses
Le Régent a donc fait embastiller l’insolent. Déjà exilé deux fois en province pour cause d’écrits satiriques, l’incorrigible frondeur a récidivé avec une épigramme, en latin – pour plus de prudence, mais à l’époque, tout le beau monde parle latin.
Le Régent, Dubois (son principal ministre), les princes du sang, les ducs, les bâtards, le Parlement, chaque faction paie ses libellistes pour traîner dans la boue la faction adverse. L’impertinence devient un métier et l’esprit de Voltaire, tantôt courtisan, tantôt courageux et parfois les deux, excelle dans cette nouvelle carrière à la mode.
« Monseigneur, je trouverais très doux que Sa Majesté daignât se charger de ma nourriture, mais je supplie Votre Altesse de ne plus s’occuper de mon logement. »1072
VOLTAIRE (1694-1778), au Régent qui vient de le libérer, 1718. Voltaire, sa vie et ses œuvres (1867), Abbé Maynard
François-Marie Arouet, 24 ans, prend alors le nom de Voltaire (tiré d’une anagramme de son patronyme écrit en latin. Ce pseudonyme est doublement utile. Le jeune et ambitieux libertin prend ses distances avec sa famille très bourgeoise, à commencer par son père notaire. Et il recommence sa vie avec l’optimisme qui le caractérise : « J’ai changé mon nom d’Arouet en celui de Voltaire. J’ai été si malheureux par l’autre que je veux voir si celui-ci m’apportera du bonheur. » Bien joué !
La renommée s’acquiert en un soir au théâtre et il devient célèbre comme tragédien, avec son Œdipe (aujourd’hui injouable, comme toute son œuvre dramatique). Ce n’est que le début d’une longue vie pleine de « bonheurs » divers, mais mouvementée.
« Mon nom, je le commence, et vous finissez le vôtre. »1096
VOLTAIRE (1694-1778), au chevalier de Rohan-Chabot, janvier 1726. Histoire de la langue et de la littérature française, des origines à 1900 (1898), Louis Petit de Julleville
Réplique au chevalier affichant son mépris pour un bourgeois « qui n’a même pas un nom. » La scène se passe en public, dans la loge d’Adrienne Lecouvreur, à la Comédie-Française.
Deux jours plus tôt, à l’Opéra, Rohan-Chabot l’a attaqué en se moquant du pseudonyme : « Nous de Voltaire, Nous Arouet, comment vous appelez-vous ? — Et vous, vous appelez-vous Rohan ou Chabot ? » C’est trop d’insolence…Quelques jours plus tard, alors qu’il déjeune au château de Sully, des gaillards viennent donner la bastonnade à Voltaire !
Ulcéré, l’auteur qui a déjà trente ans passés, une jolie fortune héritée et bien placée, une certaine célébrité, la faveur de nobles protecteurs, exige une réparation par les armes. Une lettre de cachet renvoie l’impertinent à la Bastille, méditer sur ce qu’il en coûte au roturier de répondre à un gentilhomme !
En mai, autorisé à s’exiler en Angleterre, Voltaire est reçu à bras ouverts par la bonne société politique et littéraire. Trois ans après, il en rapporte ses Lettres Anglaises (ou Lettres philosophiques), source de nouveaux ennuis, mais aussi de reconnaissance dans le milieu philosophique et bien au-delà .
« Je ne sais pourtant lequel est le plus utile à un État, ou un seigneur bien poudré qui sait précisément à quelle heure le Roi se lève, à quelle heure il se couche et qui se donne des airs de grandeur en jouant le rôle d’esclave dans l’antichambre d’un ministre, ou un négociant qui enrichit son pays, donne de son cabinet des ordres à Surate et au Caire, et contribue au bonheur du monde. »1105
VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques, ou Lettres anglaises (1734)
L’auteur admire le régime anglais et expose les leçons que la France peut en tirer. Il publie sans autorisation cette « première bombe lancée contre l’Ancien Régime » selon Gustave Lanson, historien de la littérature à la fin du XIXe siècle.
L’imprimeur est embastillé, le livre condamné par le Parlement à être brûlé, une lettre de cachet du 3 mai exile l’auteur en Lorraine – la province ne devient française qu’en 1766. Le château de Cirey et Mme du Châtelet accueillent Voltaire à quelques lieux de la frontière et à la moindre alerte, il pourra fuir. Mais l’homme déjà célèbre va trouver un autre refuge.
« J’étudie la philosophie de Newton sous les yeux d’Émilie, qui est à mon gré encore plus aimable que Newton. »
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Maupertuis, membre de l’Académie des Sciences, professeur de mathématiques et ex-amant d’Émilie
Tout commence en 1735. Voltaire a dû quitter la capitale au plus vite. Ses Lettres philosophiques ont déplu au pouvoir et il veut éviter un nouveau séjour à la Bastille. Éperdument amoureuse, Émilie lui ouvre les portes de son château de Cirey dans le duché de Lorraine. Florent Claude du Châtelet, le mari qui lui a fait trois enfants, militaire toujours absent, feint d’ignorer l’adultère. Voltaire (41 ans) et Mme du Châtelet (29 ans) vont vivre ensemble durant quatorze ans la plus folle et intellectuelle romance des Lumières.
Il la baptise « Madame Pompon » : Émilie est coquette, souvent trop maquillée, pas spécialement jolie, « grande et sèche, sans cul, sans hanches, la poitrine étroite, deux petits tétons arrivant de fort loin » dit une rivale. Mais la jeune marquise dont Voltaire s’est épris brille de mille autres feux. Assoiffée de connaissances, elle plonge jour et nuit dans l’étude de la physique et des mathématiques, au point de devenir une académicienne reconnue. Il la présente à son amie Mme du Deffand, mais en vain. La marquise ne recevra pas Madame Pompon dans son salon.
L’exilé transforme le château à ses frais. Il aménage une vaste bibliothèque, un vrai théâtre - passion et passe-temps favori du philosophe. Dans une galerie, il fait installer pour la scientifique la plus éclairée du siècle un authentique laboratoire, équipé de microscopes, baromètres, télescopes. Elle démontre expérimentalement la théorie du physicien Leibniz, selon laquelle l’énergie cinétique (dite « force vive ») est proportionnelle à la masse et au carré de la vitesse. Renommée pour sa traduction des Principia Mathematica de Newton (qui fait toujours autorité), « Pompon Newton » est la plus délicieuse des maîtresses au double sens du terme ! Leur complicité intellectuelle est intense. La marquise se réveille aux aurores, lit à Voltaire des textes en anglais ou en latin. La plus brillante élève du mathématicien Maupertuis (lui aussi son amant) initie l’écrivain aux matières scientifiques. On a pu dire que la marquise du Châtelet fut « la lumière » plus que la maîtresse du philosophe.
La dernière année de sa vie, elle s’éprendra d’un jeune poète et militaire tout en restant l’amie de Voltaire. Elle meurt à 42 ans d’une fièvre puerpérale, après l’accouchement. Voltaire n’oubliera jamais la Divine Émilie. « Elle fut la première femme scientifique en France » écrira Élisabeth Badinter (Émilie, Émilie ou l’ambition féminine au XVIIIe siècle, 1984). Son nom souvent ignoré aujourd’hui en fait simplement la « maîtresse de Voltaire ». Cet essai lui rend justice.
« Dieu ? Nous nous saluons, mais nous ne nous parlons pas. »1129
VOLTAIRE (1694-1778), à un ami s’étonnant de le voir se découvrir devant le Saint-Sacrement à une procession en 1750, Correspondance (posthume)
Déiste, et non athée, le philosophe trouve la religion bien utile, ne serait-ce que pour donner une morale au peuple.
« Je vois bien qu’on a pressé l’orange, il faut penser à sauver l’écorce. »1133
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme Denis, 18 décembre 1752. Correspondance (posthume)
Allusion spirituelle au mot du roi Frédéric II de Prusse qui lui fut rapporté : « J’aurai besoin de lui encore un an, tout au plus ; on presse l’orange et on jette l’écorce » (2 septembre 1751).
Voltaire, invité fastueusement à Berlin, alors que la cour de France le boude, sera pourtant déçu par le despote éclairé qui fait de lui son otage. Dans ce siècle fou de communication, il écrira quelque 40 000 lettres adressées à plus de 700 correspondants, échelonnées de 1711 à  1778 : elles jettent sur l’époque une lumière souvent juste, parfois partisane.
« Il y a trois mois, ce n’était qu’un voleur ; c’est à présent un conquérant. »1136
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à la duchesse de Saxe-Gotha, 14 janvier 1755, Correspondance (posthume)
Et quatre mois après, Mandrin entrera dans la légende. Bandit de grand chemin, prenant la tête de contrebandiers et de faux saulniers (faisant le trafic du sel), il forme une troupe disciplinée qui s’attaque aux fermes générales et aux greniers à sel avec une incroyable audace. « On prétend que Mandrin est à la tête de 6 000 hommes déterminés ; que les soldats désertent pour se ranger sous ses drapeaux et qu’il se verra bientôt à la tête d’une grande armée », écrit encore Voltaire.
En 1754, il a mené six campagnes contre les fermiers généraux, collecteurs d’impôts haïs du peuple, qui prélèvent des taxes sur les marchandises et en gardent les trois-quarts – la plus connue est la gabelle, sur le sel, indispensable à la conservation des aliments. Il faudra plusieurs détachements d’Argoulets (troupe spéciale) envoyés illégalement en Savoie (royaume sarde) pour que Mandrin soit pris, sitôt jugé et roué vif, le 26 mai 1755 – il meurt à 30 ans.
« J’ose presque assurer que l’état de réflexion est un état contre nature et que l’homme qui médite est un animal dépravé. »1036
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)
Cette petite phrase va naturellement faire réagir Voltaire, fort vivement. C’est une provocation lancée à ce siècle épris de raison et à tous ses confrères qui font métier de penser – c’est aussi un brûlot dangereux à bien d’autres égards pour la société, ce que Voltaire ne peut que désapprouver, n’étant absolument pas révolutionnaire au sens propre du mot.
« J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain […] On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. »1138
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Jean-Jacques Rousseau, 30 août 1755, Correspondance (posthume)
Ce jugement vise bien le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, point de départ de la philosophie politique de Rousseau qui annonce déjà le Contrat social. Il y a incompatibilité d’esprit entre les deux personnages et Rousseau écrira plus trad à son ami Paul Moulton : « Je le haïrais davantage, si je le méprisais moins. »
Les deux hommes s’opposent d’ailleurs en tout. Rappelons le mot de Goethe : « Avec Voltaire, c’est un monde qui finit. Avec Rousseau, c’est un monde qui commence. » La Révolution va pourtant les réunir post mortem, au Panthéon.
« Le pape est une idole à qui on lie les mains et dont on baise les pieds »1141
VOLTAIRE (1694-1778), Le Sottisier (posthume, 1880)
Il s’en amuse et se réjouit pour une autre raison, dans une lettre à son ami d’Alembert (13 novembre 1756) : « Pendant la guerre des Parlements et des évêques, les gens raisonnables ont beau jeu et vous aurez le loisir de farcir l’Encyclopédie de vérités qu’on n’eût pas osé dire, il y a vingt ans. »
Mais ces querelles franco-françaises, partisanes et mesquines, sont du plus mauvais effet : Église, Parlement, pouvoir royal se déconsidèrent aux yeux de l’opinion. Laquelle a d’autres soucis, avec la guerre dite de Sept Ans (1756-1763), conflit européen majeur qui va bouleverser pour un siècle l’équilibre des forces au bénéfice de l’Angleterre et de la Prusse, la France perdant son premier empire colonial.
« Le monstre est un chien qui aura entendu aboyer quelques chiens […] et qui aura pris la rage. »1144
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme de Lutzelbourg, 20 janvier 1757, Correspondance (posthume)
Damiens a servi comme domestique chez plusieurs magistrats du Parlement de Paris, dont certains très virulents contre le roi. Il se vanta d’ailleurs d’avoir voulu donner une leçon au roi, pour que désormais il obtempérât aux remontrances.
Louis XV voulut d’abord pardonner et le fit savoir : « Les sentiments de religion dont nous sommes pénétrés et les mouvements de notre cœur nous portaient à la clémence. » Il tente ensuite de minimiser la publicité faite à ce geste – un acte isolé, à n’en pas douter. Mais chaque conseiller donne un avis différent, et finalement, Damiens sera jugé pour crime de lèse-majesté devant la grande chambre du Parlement.
Plus fou que régicide, vraisemblablement épileptique et simple d’esprit, il est condamné pour « parricide » à la série des supplices jadis infligés à Ravaillac. L’exécution se fera devant la foule, en place de Grève. Toutes les fenêtres sont louées à prix d’or et le supplice de cet homme particulièrement robuste reste dans l’histoire comme l’un des plus atroces. L’on remarque tout particulièrement la résistance des femmes à ce spectacle qui dure deux heures, Damiens étant finalement jeté mourant sur le bûcher. On a dit que les cheveux du supplicié, de châtain, sont devenus d’un blanc immaculé, signe d’une terreur extrême.
L’atrocité et la durée du supplice contribueront à l’abolition de cet acte barbare, sous la Révolution : la guillotine sera, de fait, un progrès, en attendant l’abolition de la peine de mort que certains demandent déjà . Mais pas Voltaire qui se battra quand même pour des supplices injustes, motivés par l’intolérance religieuse qui survit au siècle des Lumières.
« Le manteau de la liberté sert à couvrir nombre de petites chaînes. »1153
Président de BROSSES (1709-1777), Lettre à Voltaire, septembre 1758. Correspondance inédite de Voltaire avec Frédéric II, le Président de Brosses et autres personnages (posthume, 1836)
Du siècle des Lumières, on ne retient que la pensée des philosophes qui « éclairent » leur siècle de leur grand talent et de leurs idées neuves. Mais des voix s’élèvent contre la « secte » philosophique (Fréron, Le Franc de Pompignan). De Brosses, magistrat frondeur, bon observateur de son pays et de quelques autres où il a voyagé, met en garde Voltaire : « Je n’ai pas vu une république qui fût de mon goût. On y est désolé de piqûres d’épingles ; au lieu que chez nous, on en est quitte pour un coup d’épée au travers du corps, et tout est dit. »
« Les ministres passent en revue comme dans une lanterne magique. Par ma foi, notre siècle est un pauvre siècle, après le siècle de Louis XIV. »1154
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme du Deffand, novembre 1758, Correspondance (posthume)
Choiseul succède à de Bernis pour préparer la revanche contre l’Angleterre, dans la guerre de Sept Ans qui tourne au désastre. Il cumule bientôt les portefeuilles de la Guerre et de la Marine. À l’inverse de Louis XIV, le roi Louis XV et plus tard Louis XVI auront une fâcheuse tendance à laisser tomber les hommes choisis pour les servir.
« Vous savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu’elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut. »1155
VOLTAIRE (1694-1778), Candide (1759)
Dans ce conte ironique qualifié aussi de roman d’apprentissage et best-seller durable, comme dans sa Correspondance, Voltaire traite bien légèrement le problème du Canada. C’est l’un des enjeux de la rivalité entre les deux puissances coloniales du siècle. La nation anglaise qui veut le Canada tout entier, sans les états d’âme qui agitent la France, aura finalement ces « arpents de neige » et toutes les richesses de la Nouvelle-France, au traité de paix de Paris (1763).
La guerre de Sept Ans sera qualifiée par certains historiens (et par Winston Churchill) de première guerre mondiale de l’histoire : l’Europe, avec presque tous les pays belligérants, n’est plus le seul théâtre des opérations. Il y a aussi l’Amérique du Nord et l’Inde.
« Pour nous autres Français, nous sommes écrasés sur terre, anéantis sur mer, sans vaisselle, sans espérance ; mais nous dansons fort joliment. »1157
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à M. Bettinelli, 24 mars 1760, Correspondance (posthume)
La guerre ne se joue pas sur le sol de France et ne menace pas tragiquement ses frontières, comme au siècle dernier ou au siècle suivant. Mais elle coûte de plus en plus cher au pays et la fiscalité s’alourdit : la capitation est augmentée, on instaure un troisième vingtième jusqu’à la paix. Le problème n’est pourtant pas que financier. L’armée n’a pas de chefs militaires dignes de ce nom et les hommes de gouvernement se révèlent incapables de gérer la situation.
« J’ai appris que nous avons perdu Montréal et par conséquent tout le Canada. Si vous comptez sur nous pour les fourrures de cet hiver, je vous avertis que c’est en Angleterre qu’il faut vous adresser. »1158
Duc de CHOISEUL (1719-1785), Lettre à Voltaire du 12 octobre 1760. Les Origines religieuses du Canada (1924), Georges Goyau
Le ministre ironise lui aussi, en disciple et ami des philosophes, mais ce grand diplomate, devenu secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1758 pour venger la défaite de Rossbach, déplore assurément la perte des « arpents de neige » du Canada. Québec a capitulé en septembre 1759 et Montréal un an après. À l’autre bout du monde, Lally-Tollendal est en train de perdre l’Inde.
Choiseul, qui va avoir de plus en plus de pouvoir (avec l’appui de la Pompadour), tentera de réorganiser l’armée, déconsidérée dans cette désastreuse guerre de Sept Ans.
« Je vous avoue que je n’aime pas les remontrances dans ce temps-ci, et que je trouve très impertinent, très lâche et très absurde qu’on veuille empêcher le gouvernement de se défendre contre les Anglais. »1159
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme du Deffand, 6 août 1760, Correspondance (posthume)
Les remontrances du Parlement entravent sans cesse l’établissement et la levée d’impôts, et le pacifiste Voltaire lui-même en est indigné. Les emprunts ne peuvent plus se faire qu’à des conditions très onéreuses. Quand plus aucun financier ne veut faire l’avance des impôts, pour payer les troupes, le roi doit envoyer faire fondre sa vaisselle d’or et d’argent à la Monnaie.
« Je voudrais, et ce sera le dernier et le plus ardent de mes souhaits, je voudrais que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier prêtre. »1165
Jean MESLIER (1664-1729), Mon testament (posthume, 1762)
Étonnant destin de cet homme et de cette œuvre – qui doit beaucoup à Voltaire, bien que très éloignée de sa philosophie !
Curé dans les Ardennes, Meslier scandalise en prenant à son service des bonnes trop jeunes et dénonce en chaire les mauvais traitements du seigneur sur les paysans de sa paroisse. L’évêché semonce le curé comme il se doit. Meslier se range en apparence, mais écrit en secret des pages incendiaires, volumineux mémoire recopié en trois exemplaires et légué à ses paroissiens après sa mort (1729). Des copies circulent sous le manteau, toute l’Europe des Lumières a lu Meslier - qui a lui-même lu et annoté la Bible, les auteurs latins, et Montaigne, Pascal, Fénelon, Saint-Simon.
Voltaire décide de publier le Testament. Mais ce cri de haine contre le roi et la religion est d’une telle violence qu’il réécrit nombre de passages, transformant l’athéisme extrême en déisme prudent. Voltaire n’est ni anarchiste ni révolutionnaire. L’histoire de la pensée politique fera de Meslier le précurseur des Lumières, mais aussi du socialisme avant Mably et du communisme avant Babeuf.
« Innocents de tout ce que les Parlements disent contre eux et coupables de tout ce qu’ils ne disent pas, les condamnent à être lapidés avec les pierres de Port-Royal. »1169
VOLTAIRE (1694-1778). La France sous Louis XV (1864), Alphonse Jobez
Évoquant les ruines de l’abbaye janséniste de Port-Royal détruite en 1711 sur ordre de Louis XIV, Voltaire fait le procès parodique des jésuites (en février 1763), alors qu’on essaie de liquider leurs biens et de régler le sort des collèges. Le pape Clément XIV supprimera la Compagnie de Jésus en 1773. La Nouvelle Compagnie sera rétablie par Pie VII en 1814, sous la Restauration.
« Tout ce que je vois jette les semences d’une révolution qui arrivera immanquablement et dont je n’aurai pas le plaisir d’être témoin. Les Français arrivent tard à tout, mais enfin, ils arrivent […] Les jeunes gens sont bienheureux ; ils verront de belles choses. »1172
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre au marquis de Chauvelin, 2Â avril 1764, Correspondance (posthume)
Sa prédiction rejoint celle de Rousseau dans le Contrat social de 1762. À part cela, les deux hommes s’opposent plus que jamais.
Sexagénaire, riche et célèbre, le patriarche de Ferney reçoit tout ce que le siècle des Lumières compte d’écrivains, de princes, d’admirateurs. Mais l’« aubergiste de l’Europe » ne se contente pas d’écrire, de « cultiver son jardin » et d’observer le monde comme il va. Il se bat pour plus de justice, faisant appel à ses amis influents, dont le ministre Choiseul et le duc de Richelieu, afin d’obtenir la révision du procès Calas.
La mise en cause des mécanismes judiciaires, une des plaies de l’Ancien Régime, est en soi un acte révolutionnaire à l’époque. Et l’attitude courageuse de Voltaire fait de lui le premier de nos « intellectuels engagés ».
« Je sème un grain qui pourra produire un jour une moisson. »1176
VOLTAIRE (1694-1778), Traité sur la tolérance (1763)
Il écrit ce traité pour Calas, et pour que justice soit rendue. Il ajoute : « Attendons tout du temps, de la bonté du roi, de la sagesse de ses ministres, et de l’esprit de raison qui commence à répandre partout sa lumière. »
Deux ans après, c’est la réhabilitation de Calas ! Les mêmes mots se retrouvent alors dans ses Lettres, avec cette conclusion : « Il y a donc de la justice et de l’humanité chez les hommes. » 9 mars 1765, le Grand Conseil, à l’unanimité des quarante juges, s’est prononcé en faveur du négociant protestant, victime d’une des plus graves erreurs judiciaires du siècle. Au terme de trois ans de lutte, c’est une victoire personnelle du philosophe et le triomphe de la justice sur des institutions judiciaires souvent incompétentes et d’autant plus partiales que l’accusé n’était pas de religion catholique !
L’auteur va continuer de s’engager dans les grandes affaires de son temps. À 60 ans passés, Voltaire sait abandonner une œuvre en cours, pour sauver un innocent, ou du moins sa mémoire. Alors que Rousseau, auteur de l’Émile, traité sur l’éducation, abandonne à l’Assistance publique les cinq enfants qu’il fait à une servante illettrée.
« Mais, monsieur de Voltaire, amant déclaré de la vérité, dites-moi de bonne foi, l’avez-vous trouvée ? Vous combattez et détruisez toutes les erreurs ; mais que mettez-vous à leur place ? »
Mme du DEFFAND (1697-1780). Lettre à Voltaire, 28 décembre 1765
Vaste question sans réponse ! Voltaire n’est pourtant pas adepte de la « table rase » ni de la Révolution qu’il pressent et souhaite presque malgré lui, comme une évidence dans ce siècle éclairé, mais incapable de se réformer.
Malgré tout, notre philosophe continue de se battre pour les principes qui lui tiennent à cœur (et à raison), à commencer par la tolérance en matière de religion, indispensable à la liberté (de penser) et à l’égalité (des droits).
« On dit que cet infortuné jeune homme est mort avec la fermeté de Socrate ; et Socrate a moins de mérite que lui : car ce n’est pas un grand effort, à soixante et dix ans, de boire tranquillement un gobelet de ciguë ; mais mourir dans les supplices horribles, à l’âge de vingt et un ans… »1180
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à M. le Comte d’Argental, 23 juillet 1766, Correspondance (posthume)
Il prend parti pour le chevalier de la Barre : accusé sans preuve de blasphèmes, chansons infâmes et profanations, et de ne pas s’être découvert lors d’une procession de la Fête-Dieu, il fut condamné à avoir la langue coupée, la tête tranchée, le corps réduit en cendres avec un exemplaire du Dictionnaire philosophique trouvé chez lui, le 1er juillet 1766. C’est dire si l’auteur, défenseur des droits de l’homme, se sent doublement concerné ! Comme pour Calas, Voltaire va demander la révision du jugement.
« Tant qu’il y aura des fripons et des imbéciles, il y aura des religions. La nôtre est sans contredit la plus ridicule, la plus absurde, et la plus sanguinaire qui ait jamais infecté le monde. »
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Frédéric II en 1767, Correspondance (posthume)
Il écrit aussi au Marquis d’Argence que le christianisme est « la superstition la plus infâme qui ait jamais abruti les hommes et désolé la terre. » Dans sa tragédie Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète (1741), il accusait l’Islam, une façon de dénoncer toutes les religions monothéistes en même temps que toute forme d’impérialisme. La pièce fut mal accueillie et surtout mal comprise de son temps. L’auteur vivra une revanche posthume avec ces deux vers devenus selon l’historienne Mona Ozouf la citation reine de la Révolution : « Les mortels sont égaux, ce n’est pas la naissance / C’est la seule vertu qui fait la différence. »
« Le fanatisme est une peste qui reproduit de temps en temps des germes capables d’infester la terre. »1057
DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, article « Christianisme »
L’Encyclopédie est aussi hardie sur le plan religieux que prudente en politique, sauf quand Diderot prend la plume. Frère de Voltaire par la pensée sur ce sujet, il écrit dans l’article Intolérance : « L’intolérant est un méchant homme, un mauvais chrétien, un sujet dangereux, un mauvais politique et un mauvais citoyen. »
« Les Parisiens sont aujourd’hui des sybarites, et crient qu’ils sont couchés sur des noyaux de pêche, parce que leur lit de roses n’est pas assez bien fait. »1183
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme de Florian, 1er mars 1769, Correspondance (posthume)
L’épicurien libertin qui chantait jadis « le superflu, chose très nécessaire » juge à présent ses contemporains avec la sagesse d’un vieux philosophe. Le Dauphin (futur Louis XVI) exprimera bientôt la même idée : « Les Français sont inquiets et murmurateurs, les rênes du gouvernement ne sont jamais conduites à leur gré… On dirait que la plainte et le murmure rentrent dans l’essence de leur caractère. » L’actualité de certaines citations est souvent étonnante.
Le règne de Louis XV fut un temps de longue prospérité, aux conséquences multiples : raffinement des mœurs, luxe de la bonne société grisée par sa propre civilisation, éclat sans pareil du Paris des salons, des cafés, des clubs et des spectacles, rayonnement culturel de la France en Europe. Pour la masse des quelque 20 millions de paysans, cela s’est traduit par un réel mieux-être : malgré les charges fiscales, le seuil de subsistance est dépassé.
« Nos Français sont en pleine paix, et nous n’avons pas le sou. »1191
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Catherine II, 14 janvier 1772, Correspondance (posthume)
La conjoncture économique et agricole des quatre dernières années du règne est difficile – il y aura même des émeutes de la faim, en 1773. La France se refait une armée, une marine, mais les impôts ne cessent d’augmenter. Les affaires de Voltaire sont cependant prospères, dans la région de Ferney. Et toute la future petite ville en profite.
« Le nombre infini de maladies qui nous tue est assez grand ; et notre vie est assez courte pour qu’on puisse se passer du fléau de la guerre. »1216
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme du Deffand, 27 février 1775, Correspondance (posthume)
L’octogénaire écrit fidèlement à son amie, presque aussi âgée que lui et quasi aveugle, femme de salon qui a reçu tous les artistes en renom, brillante et séduisante à l’image de son temps et pratiquant l’art du portrait avec une talentueuse férocité.
Voltaire, de santé fragile durant toute sa longue vie, eut la chance de naître en un siècle de paix relative. Mais les exemples de guerre ne manquent pas en Europe et la France prépare sa revanche contre l’Angleterre, après la désastreuse guerre de Sept Ans. C’est outre-Atlantique qu’elle va se jouer. Les Français vont participer à la guerre d’Indépendance des États-Unis d’Amérique – ce ne sont encore que les Treize colonies. Turgot s’y oppose, au motif que la France n’a pas les moyens d’une guerre lointaine et maritime, forcément coûteuse. Mais Vergennes négocie secrètement, Beaumarchais trafique activement, les Insurgents reçoivent de l’argent et des armes dès 1775 et le jeune marquis de La Fayette se lancera bientôt dans l’aventure, devenant le « Héros des deux mondes ».
« Quelle foule pour vous acclamer !
— Hélas, elle serait aussi nombreuse pour assister à mon supplice. »1228VOLTAIRE (1694-1778), 30 mars 1778. Voltaire (1935), André Maurois
Le patriarche de Ferney, de retour à Paris à 83 ans, est reçu comme un roi, fêté à l’Académie, statufié à la Comédie-Française (avec son buste sur la scène) et ovationné pour sa dernière tragédie, Irène. Certes sensible à cette gloire, il n’est pas tout à fait dupe.
Maurois lui a consacré une brève biographie, injustement oubliée, d’autant plus qu’il fut le premier à le faire et le seul, avec Max Gallo (en 2008). Il dit le paradoxe de cet homme si peu philosophe et devenu le plus illustre de son temps. C’est qu’il incarne idéalement ce siècle bourgeois et gentilhomme, universel et frivole, scientifique et mondain, européen et plus que tout français. Le reste du monde apprécie sa clarté, son esprit, sa politesse, son bonheur de vivre malgré tout et jusqu’au bout. Grâce à lui, notre langue est celle de l’élite pensante, parlée dans toutes les cours européennes, tandis que Voltaire fêté à Paris se plaît plus que tout à jouer l’aubergiste de l’Europe en son domaine de Ferney.
« Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, en détestant la superstition. »1229
VOLTAIRE (1694-1778), profession de foi manuscrite, 18 février 1778. « Mot de la fin » écrit. Choix de testaments anciens et modernes (1829), Gabriel Peignot
Derniers mots écrits de sa plume et pour la tolérance, le combat de sa vie. Il meurt le 30 mai. Ses cendres seront transférées au Panthéon sous la Révolution - seul philosophe à avoir cet honneur avec Rousseau, son intime ennemi. Rappelons l’épigramme qui lui est attribuée, datée de juin : « Plus bel esprit que grand génie, / Sans loi, sans mœurs et sans vertu, / Il est mort comme il a vécu, / Couvert de gloire et d’infamie. »
Rousseau mourra deux mois après à Ermenonville. Fin d’une longue guérilla philosophico-polémique, qui ne fit honneur à aucun des deux personnages, si talentueux (ou géniaux) fussent-ils.
« Il combattit les athées et les fanatiques.
Il inspira la tolérance. Il réclama les droits de l’homme contre la servitude de la féodalité. »Épitaphe entourée de deux anges, sur le tombeau en pierre de Voltaire
C’est l’occasion de rétablir une vérité parfois méconnue. Voltaire était déiste fervent : « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer » (Épîtres). Mais il s’en prend à la religion qui crée l’intolérance et en France, au catholicisme qui bénéficie de l’appui du pouvoir civil.
Dernière originalité : le cœur de Voltaire (parfaitement authentifié) repose à la Bibliothèque nationale, après un long parcours et un séjour dans son château de Ferney.
« Laissez ! Il sera bien assez puni d’entendre la messe chaque matin. »
LOUIS XVIII (1755-1824), cité par Etienne Lorédan Larchey, L’Esprit de tout le monde-Riposteurs (1893)
Quand la Restauration rendit le Panthéon au culte (destination première du monumental édifice parisien), il fut question d’expulser les restes de Voltaire, incroyant notoire. Le roi s’y opposa, avec son humour bien connu. C’est ainsi que Voltaire échappa au déshonneur d’une dépanthéonisation !
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