« Faites l’histoire, nous l’écrirons ! »
Jules Michelet, voyant du seuil de l’École normale où il enseigne des bandes d’ouvriers et d’étudiants qui se rendent au combat, Révolution de juillet 1830
Pionnier de sa discipline, héritier des Lumières et penseur de la Révolution, créateur du « récit national » (confondu à tort avec le roman national), Michelet reste l’historien préféré des Français pour ses talents de vulgarisateur - d’où sa présence dans notre Histoire en citations.
Contrairement à la plupart de ses confrères (Chateaubriand, Lamartine, Hugo…), il refuse d’entrer en politique autrement que par la plume. Les débordements des révolutions (1830 et 1848), les émeutes et les tirs de la troupe sur le peuple le persuadent que la démocratie doit être définie et enseignée à l’ensemble des citoyens.
Dès 1840, il affiche des idées démocratiques et anticléricales mal vues par la Monarchie de Juillet. Sous la Deuxième République, son hostilité à Louis Napoléon le prive de ses fonctions de professeur et d’archiviste, en 1851. Refusant de prêter serment à l’Empire, il perd sa place aux Archives. Sa carrière professorale est brisée.
Travaillant toujours à son Histoire de France (17 volumes), il en tire de petits livres sur des thèmes ou des personnages qui lui sont chers (Jeanne d’Arc), il rédige des « cours d’éducation nationale » pour le peuple… et se fait plaisir avec des textes lyriques sur la nature et les passions humaines. Ces publications discréditent l’ensemble de son œuvre aux yeux de ses détracteurs. Libre de toute école (historique) et de tout parti (politique), trop sûr de son génie, il se fit beaucoup d’ennemis.
Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.
1. Vie et œuvre : la passion de l’Histoire et de l’enseignement.
« Héros pour Victor Hugo, charlatan si l’on en croit Sainte-Beuve, Jules Michelet n’oubliera jamais qu’il est sorti du peuple, ce peuple dont il fera le grand acteur de l’histoire de la France. »
Site internet de l’Académie des sciences morales et politiques
Fils d’un imprimeur (ruiné sous l’Empire en raison des lois contre la liberté de la presse), le jeune Michelet connaît la pauvreté, mais pas la misère du peuple.
« Je ne voulus point vivre de ma plume. Je voulus un vrai métier ; je pris celui que mes études me facilitaient, l’enseignement. »
Jules MICHELET (1798-1874), Le Peuple (1846)
Doué pour les études, licencié ès lettres à 20 ans, agrégé trois ans après, professeur d’histoire à 24 ans, il rédige des manuels scolaires. Son Précis d’histoire moderne (1827) est sitôt remarqué. Maître de conférence à l’École normale supérieure, il cumule avec bonheur deux chaires : histoire et philosophie. En 1831, nommé chef de la section historique des Archives nationales par Guizot son ancien professeur (ministre de Louis-Philippe), la passion du militant politique l’emporte sur la rigueur du savant dans son Introduction à l’Histoire universelle. Il enseigne à l’université, au Collège de France : heure de gloire pour l’Historien. En 1833, il commence à publier son Histoire de France, l’œuvre de sa vie, fondée sur toute la documentation disponible à l’époque.
Travailleur acharné, passionné par l’Histoire, l’enseignement et l’écriture, cet homme de petite taille et de santé fragile n’est pas un combattant, ni un orateur. Il redoute le bruit et les foules, il fuit également les mondanités qui s’offrent à l’auteur reconnu pour son style (romantique) et son esprit de synthèse. Il préfère le silence, la solitude, le travail paisible du cabinet.
« Les salons demi-catholiques, bâtards, dans la fade atmosphère des amis de M. de Chateaubriand, auraient été pour moi peut-être un piège plus dangereux. »
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France
Au fil des publications (et des Préfaces) de la grande œuvre de sa vie, il se livre volontiers à ce genre de confidence. Il manifeste ici sa décision de faire bande à part pour diverses raisons personnelles ou politiques : « Le bon et aimable Ballanche, puis M. de Lamartine, plusieurs fois voulurent me conduire à l’Abbaye-aux-Bois. Je sentais parfaitement qu’un tel milieu, où tout était ménagement et convenance, m’aurait trop civilisé. Je n’avais qu’une seule force, ma virginité sauvage d’opinion et la libre allure d’un art à moi et nouveau. »
Rappelons que l’Abbaye-aux-Bois (ancien couvent du VIIe arrondissement parisien) abritait le salon bien connu de Madame Récamier, fréquenté par Chateaubriand et de jeunes auteurs prometteurs, Lamartine, Sainte-Beuve, Balzac.
« J’aperçus la France. Elle avait des annales et non point une histoire. »
Jules MICHELET (1798-1874), nouvelle Préface à sa monumentale Histoire de France
Au soir de sa vie et dans une nième préface, il affirme tout simplement qu’avant lui l’histoire de France n’existait pas. Elle n’aurait été jusque-là qu’une succession chronologique d’événements. L’Histoire digne de ce nom suppose une saisie globale, une vue d’ensemble qui rassemble le passé d’un peuple dans une vaste épopée. Dans son Introduction à l’Histoire universelle (1831), il envisage toute l’histoire humaine comme un combat prométhéen pour la liberté : celui que les hommes mènent depuis toujours pour s’arracher aux poids des contraintes naturelles et des fausses croyances.
« Pour nous, joyeuse ou mélancolique, lumineuse ou obscure, la voie de l’histoire a été simple, directe ; nous suivions la voie royale (ce mot pour nous veut dire populaire), sans nous laisser détourner aux sentiers tentateurs où vont les esprits subtils ; nous allions vers une lumière qui ne vacille jamais, dont la flamme devait nous manquer d’autant moins qu’elle était tout identique à celle que nous portons en nous. Né peuple, nous allions au peuple. »
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)
Voilà ce qui s’appelle une vocation au sens littéral, un appel plus fort que soi, comme une religion dont rien ni personne ne peut détourner l’Élu. Michelet sera aussi un écorché vif, supportant mal les attaques « entre confrères » ou les dissensions politiques d’une violence extrême, à l’époque où naissent les « ismes », à commencer par le socialisme et le communisme, véritables inventions du XIXe siècle.
« Nous allons embrasser dans une seule étude l’histoire et la philosophie. Ainsi unies par une heureuse alliance, elles se prêteront un mutuel secours. »
Jules MICHELET (1798-1874), Michelet à l’école normale (1827-1838), Gabriel Monod, Éditions Rue d’Ulm, Presses de l’École normale supérieure-PSL
Premier représentant de « l’historicisme », théorie philosophique selon laquelle les connaissances, les courants de pensée et les valeurs d’une société sont liés au contexte historique de cette société, Michelet définir ainsi l’histoire comme une « résurrection » et tel un croyant, il attend tout d’elle et ne doute de rien.
« L’histoire étudiera les faits, la philosophie les lois ; l’histoire l’homme collectif, la philosophie l’homme individuel. La psychologie de l’individu trouvera sa confirmation dans celle de l’espèce ; car l’humanité comme l’individu passe de la spontanéité à la réflexion, de l’instinct à la raison, de la fatalité à la liberté. Le développement religieux de l’humanité est la confirmation des conclusions spiritualistes de la philosophie. »
Le rôle de l’homme, le rôle de la liberté humaine, c’est à cette idée que sa pensée revient toujours. Cette idée dirigera toutes les recherches de l’historien et c’est à elle qu’aboutissent les analyses du psychologue. La France lui apparaîtra comme la principale représentante de la liberté morale et deux époques l’attireront entre toutes, celles où se sont jouées les scènes décisives du drame de la liberté : le XVIe siècle avec la Renaissance et la Réforme, le XVIIIe avec la Révolution.
« Il menait la vie la plus retirée, plongé dans ses livres et dans ses manuscrits, fuyant les réunions mondaines, et n’ouvrant guère sa porte qu’à ses secrétaires à qui il distribuait à midi le travail quotidien tout en déjeunant avec eux, à quelques anciens élèves qu’il aimait à recevoir à sa table, et à de rares amis. »
Gabriel MONOD (1844-1912), Michelet à l’École normale (1827-1838), Figaro, 22 juillet 1882
De santé toujours fragile, mais pas homme à se ménager, plusieurs fois il dut prendre un congé de ou deux mois pour se reposer. Il en profita pour aller « aux sources », faire des recherches en Italie ou quelque autre pays.
« Ce qui faisait l’originalité des cours de Michelet à cette époque, c’était l’association des recherches d’érudition les plus minutieuses avec les dons les plus rares de l’imagination et une constante préoccupation philosophique. On peut dire que l’érudition et la philosophie sont les deux servantes de son imagination et lui fournissent, l’une les matériaux, l’autre les plans des palais enchantés qu’elle évoque. »
« La société de mes élèves ouvrit mon cœur, le dilata. Ces jeunes générations, aimables et confiantes, qui croyaient en moi, me réconcilièrent à l’humanité…. Ils m’ont rendu, sans le savoir, un service immense. Si j’avais, comme historien, un mérite spécial qui me soutint à côté de mes illustres prédécesseurs, je le devrais à l’enseignement, qui pour moi fut l’amitié. D’autres ont été profonds, judicieux, éloquents. Moi, j’ai davantage aimé. »
Jules MICHELET (1798-1874), cité par Gabriel Monod, Michelet à l’École normale (1827-1838), Figaro, 22 juillet 1882
Cette féconde communion des esprits et des cœurs fut relativement brève. En 1834, Michelet remplaça son ex-professeur Guizot à la Sorbonne : ce fut la fin de cette période heureuse où l’enseignement de l’École lui suffisait pleinement et où rien n’ébranlait la foi que ses élèves avaient en lui. L’attrait de succès plus retentissants obtenus sur un plus grand théâtre public paraît lui avoir fait attacher moins de prix à cet auditoire restreint de l’École qui lui convenait idéalement.
« Faites l’histoire, nous l’écrirons ! »
Jules MICHELET (1798-1874) cité par Gabriel Monod, Michelet à l’École normale (1827-1838), Figaro, 22 juillet 1882
C’est à la foule qu’il jettera ses paroles brûlantes, comme aux jours de Juillet où il criait aux combattants des barricades ces mêmes mots.
Ce nouveau Michelet à l’âme embrasée et tumultueuse créera des œuvres merveilleuses de poésie, de vie et de passion ; mais l’heure du juste équilibre entre la science et l’imagination, entre la fougue et la réflexion, entre la philosophie et l’histoire, sera passée le jour où la porte de l’École normale se referme derrière lui.
« En quittant cet auditoire studieux et clairvoyant dont l’amitié enthousiaste lui avait révélé son génie, tout en maintenant dans de prudentes limites ce qu’il avait d’aventureux, et devant lequel les enivrements de l’orateur étaient toujours contenus par la responsabilité de l’éducateur, il avait privé l’École normale d’un maître tel qu’elle n’en devait jamais revoir ; mais il avait aussi perdu quelque chose. L’Histoire Romaine et l’Histoire de France au Moyen Âge restent parmi les œuvres de Michelet les plus solides au point de vue de la science et les plus parfaites au point de vue de l’art. C’est au professeur de l’École normale que nous les devons. »
« Le sublime n’est point hors nature, c’est, au contraire, le point où la nature est le plus elle-même, en sa hauteur, profondeur naturelle. »
Jules MICHELET (1798-1874), Préface de l’Histoire de France (1833)
Exigence scientifique et romantisme existentiel, ces deux formes d’un même idéal définissent l’homme, sa vie et son œuvre, avec et malgré tous les accidents de parcours qu’il pourra rencontrer.
« Dans tout moment de défaillance où nous semblons nous oublier, c’est là que nous devons nous chercher, nous ressaisir. Là se garde toujours pour nous le profond mystère de vie, l’inextinguible étincelle. »
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847), Préface
Certains pensent que sa meilleure critique est peut-être contenue dans l’incipit (premiers mots) du dernier volume de l’œuvre de sa vie, son Histoire de France : « L’âge me presse ». On peut dire également qu’il est mort comme il avait vécu, travaillant toujours à la limite de ses forces.
« Ma vie fut en ce livre, elle a passé en lui, il a été mon seul événement. »
Jules MICHELET (1798-1874), Dernière Préface de l’Histoire de France (1869)
« Je me perdis de vue, je m’absentai de moi. J’ai passé à côté du monde et j’ai pris l’histoire pour la vie… Eh bien, ma grande France, s’il a fallu pour retrouver ta vie qu’un homme se donnât, passât et repassât le fleuve des morts, il s’en console, te remercie encore. Et son plus grand chagrin, c’est qu’il faut te quitter ici. »
« L’histoire est une résurrection. »
Jules MICHELET (1798-1874), sa maxime devenue épitaphe, gravée dans la partie supérieure du bas-relief sur son tombeau au Père-Lachaise, deux ans après sa mort
Les funérailles officielles et publiques sont organisées par Gabriel Monod, historien qui fut son élève et lui consacra trois essais. Selon la police, 10 000 personnes suivirent le cortège funéraire depuis l’appartement de Michelet rue d’Assas (Quartier latin de l’Odéon, dans le 6e arrondissement) jusqu’au cimetière du Père-Lachaise.
Son tombeau, élevé par souscription internationale et inauguré en 1882, est l’œuvre du sculpteur Antonin Mercié, sur les dessins de Jean-Louis Pascal. Clio la Muse de l’Histoire, drapée, indique du doigt la maxime quelque peu mystique de Michelet : « L’histoire est une résurrection ».
Sa seconde femme contribuera à construire le mythe du « pape de l’histoire » qu’il assuma de son vivant : Athenaïs Mialaret, épousée à vingt ans quand il en avait cinquante, le type même de la veuve abusive qui se venge de ses frustrations conjugales en se consacrant à la fabrication du grand homme, selon Pierre Nora, Le Goff qualifiant Michelet de « Phénix renaissant comme le plus jeune des historiens. »
2. L’Histoire en citations par Jules Michelet.
C’est le premier historien cité, dans l’esprit (fond et forme) de notre Histoire en citations qui embrasse toutes les époques et cible principalement la France.
GAULE ET MOYEN ÂGE
« L’infériorité des armées gauloises donna l’avantage aux Romains ; le sabre gaulois ne frappait que de taille, et il était de si mauvaise trempe qu’il pliait au premier coup. »6
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
Les Romains disposent d’un armement supérieur à celui des Gaulois. Ce sera l’une des raisons de leur victoire, quand ils vont être amenés à faire la conquête de la Gaule.
« Le caractère commun de toute la race gallique (…) c’est qu’elle est irritable et folle de guerre, prompte au combat ; du reste, simple et sans malignité. »
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
« Si on les irrite, ils marchent ensemble droit à l’ennemi, et l’attaquent de front, sans s’informer d’autre chose. Aussi, par la ruse, on en vient aisément à bout ; on les attire au combat quand on veut, où l’on veut, peu importent les motifs ; ils sont toujours prêts, n’eussent-ils d’autre arme que leur force et leur audace. Toutefois, par la persuasion, ils se laissent amener sans peine aux choses utiles ; ils sont susceptibles de culture et d’instruction littéraire. Forts de leur haute taille et de leur nombre, ils s’assemblent aisément en grande foule, simples qu’ils sont et spontanés, prenant volontiers en main la cause de celui qu’on opprime. »
Michelet cite Strabon d’après le philosophe Posidonius pour conclure : « Tel est le premier regard de la philosophie sur la plus sympathique et la plus perfectible des races humaines. » C’est dire le sérieux des sources de notre historien. Et la nécessité d’en tirer de courtes citations.
« Ces théâtres, ces cirques, ces aqueducs, ces voies que nous admirons encore sont le durable symbole de la civilisation fondée par les Romains, la justification de leur conquête de la Gaule. »29
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
La Gaule romanisée s’est couverte de superbes monuments qui ont aussi leur utilité. Les thermes, aqueducs et égouts apportent le raffinement de l’eau courante. Le réseau routier rend le commerce florissant, la production de blé augmente, la culture de la vigne se développe - le vin remplace la bière, jusqu’alors boisson nationale des Gaulois. L’essor économique général enrichit le Trésor public : politique d’urbanisme et politique sociale en bénéficient. La Gaule romaine fut une Gaule heureuse.
« Clovis fit périr tous les petits rois des Francs par une suite de perfidies. »61
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
Clovis est le petit-fils de Mérovée qui s’illustra dans la guerre contre les Huns, à la tête des Francs saliens. Il va fonder la première dynastie des rois francs, dits Mérovingiens. Mais il aura bien du mal à affirmer son pouvoir et à organiser son royaume, dans une Gaule divisée, à peine sortie des Grandes Invasions.
« Vainqueurs, vaincus, ils faisaient des déserts et dans ces déserts, ils élevaient quelques places fortes, et ils poussaient plus loin, car on commençait à bâtir. »68
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
Irrésistible avancée de Charlemagne et ses hommes, et avant lui de son père Pépin le Bref, occupant, matant, soumettant, massacrant, déportant, en un mot conquérant : Saxe et Bavière, Armorique (Bretagne) et Normandie, avec des expéditions en Espagne et en Italie.
Comme l’écrit son biographe anonyme (moine de Saint-Gall, De gestis Caroli Magni), c’est « le glorieux Charles, capable d’écraser par les armes ceux que le raisonnement ne pouvait dompter, et de les contraindre bon gré mal gré à faire leur salut. »
« Tout mérovingien est père à quinze ans, caduc à trente. La plupart n’atteignent pas cet âge. »85
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
L’historien du XIX siècle fait écho à Éginhard, chroniqueur du IXe (Vie de Charlemagne), expliquant dans un passage célèbre : « Le symbole de cette race, ce sont les énervés de Jumièges, ces jeunes princes à qui l’on a coupé les articulations et qui s’en vont sur un bateau au cours du fleuve qui les porte à l’océan. Qui a coupé leurs nerfs et brisé leurs os, à ces enfants des rois barbares ? C’est l’entrée précoce de leurs pères dans la richesse et les délices du monde romain qu’ils ont envahi. La civilisation donne aux hommes des lumières et des jouissances. Les lumières, les préoccupations de la vie intellectuelle, balancent, chez les esprits cultivés, ce que les jouissances ont d’énervant. Mais les barbares qui se trouvent tout à coup placés dans une civilisation disproportionnée n’en prennent que les jouissances. Il ne faut pas s’étonner s’ils s’y absorbent et y fondent, pour ainsi dire, comme la neige devant un brasier. » On reconnaît le style romantique de Michelet.
« Les soixante ans de guerre, qui remplissent les règnes de Pépin et de Charlemagne, offrent peu de victoires, mais des ravages réguliers, périodiques ; ils usaient leurs ennemis plutôt qu’ils ne les domptaient, ils brisaient à la longue leur fougue et leur élan. »87
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
C’est parfaitement résumer la manière dont les deux premiers Carolingiens, Pépin le Bref, fils de Charles Martel, et son fils Charles, futur empereur Charlemagne, vont se tailler l’un des plus grands empires qu’ait connu l’Europe.
« L’histoire de France commence avec la langue française. La langue est le signe principal d’une nationalité. »391
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1840)
« Le premier monument de la nôtre est le serment dicté par Charles le Chauve (un des petits-fils de Charlemagne) à son frère, au traité de 843. C’est dans le demi-siècle suivant que les diverses parties de la France, jusque-là confondues dans une obscure et vague unité, se caractérisent chacune par une dynastie féodale. Les populations, si longtemps flottantes, se sont enfin fixées et assises. Nous savons maintenant où les prendre, et, en même temps qu’elles existent et agissent à part, elles prennent peu à peu une voix ; chacune a son histoire, chacune se raconte elle-même. »
L’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée sous la Renaissance par François Ier en 1539, qui réorganise la justice, imposera le français au lieu du latin pour les ordonnances et jugements des tribunaux. Il faudra encore se battre pour que le français devienne aussi la langue des savants et des artistes.
« C’était une croyance universelle au Moyen Âge, que le monde devait finir avec l’an mille de l’incarnation […] Cette fin d’un monde si triste était tout ensemble l’espoir et l’effroi du Moyen Âge. »140
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
Cette croyance en une fin du monde pour l’an mille aurait fortement marqué les esprits de cette époque. Elle se fonde sur le millénarisme, doctrine selon laquelle le Jugement dernier devait avoir lieu mille ans après la naissance du Christ, d’après une interprétation du chapitre XX de l’Apocalypse de saint Jean (Nouveau Testament). Certes, la foi est grande alors, et les superstitions plus encore. Mais la majorité des contemporains, par ailleurs illettrés, ne sont pas sensibles aux dates.
Il faut ajouter que les auteurs romantiques du XIXe siècle auront contribué à renforcer ce mythe de la Grande Peur de l’an mille, sur la foi de quelques textes douteux, mal interprétés, et parfois postérieurs. L’an deux mille déclenchera moins de fantasmes, mais leur diffusion se fera à la vitesse d’Internet et l’obsession des dates est une nouvelle religion au XXIe siècle.
« Il y avait bien longtemps que ces deux cœurs, ces deux moitiés de l’humanité, l’Europe et l’Asie, la religion chrétienne et la musulmane, s’étaient perdues de vue, lorsqu’elles furent replacées en face par la croisade, et qu’elles se regardèrent. Le premier coup d’œil fut d’horreur. »166
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome II (1833)
Il évoque la première croisade (1096-1099). L’événement épique sollicite naturellement le lyrisme et le romantisme d’une œuvre infiniment riche, basée sur une documentation rigoureuse et relative non seulement aux faits, mais aussi à tous les aspects de la vie du passé.
« Godefroy de Bouillon n’eut pas plus tôt la Terre sainte qu’il s’assit découragé sur cette terre, et languit de reposer dans son sein. »178
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome II (1833)
La couronne de roi de Jérusalem lui est proposée après la prise de la ville, mais il la refuse, ne pouvant porter une couronne d’or, là où Jésus Christ dut porter une couronne d’épines. Le chef de la croisade se déclare modestement « avoué du Saint-Sépulcre » et se contente du titre de baron. Ce choix signifie qu’il considère la Terre sainte, Jérusalem avant tout, comme la propriété du Christ et par extension, du Saint-Siège. Il se pose ainsi en serviteur et en défenseur de l’Église.
Il meurt l’année suivante. Son frère Baudouin lui succède, et prend le titre de roi de Jérusalem, en 1100.
« Le fils de Saint Louis, Philippe le Hardi, revenant de cette triste croisade de Tunis, déposa cinq cercueils au caveau de Saint-Denis. Faible et mourant lui-même, il se trouvait héritier de presque toute sa famille. »226
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1837)
Outre son père Louis IX, le nouveau roi a perdu sa femme, un enfant mort-né, son beau-frère et ami le roi de Navarre (Thibaud de Champagne), et la femme de ce dernier.
Ce règne si mal commencé ne continue pas mieux : échec de la candidature de Philippe II le Hardi à l’empire (1273), massacres des Français en Sicile (1282), défaite de la France contre l’Aragon (1285).
« La Sicile n’avait pas de pitié à attendre de Charles d’Anjou […] S’il n’y eût encore que l’antipathie nationale et l’insolence de la conquête, le mal eût pu diminuer. Mais ce qui menaçait d’augmenter, de peser chaque jour davantage, c’était un premier, un inhabile essai d’administration, l’invasion de la fiscalité, l’apparition de la finance dans le monde de l’Odyssée et de l’Énéide. »227
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1837)
Charles d’Anjou est l’oncle de Philippe III et, selon notre historien, le véritable chef de la maison de France pendant ce règne. Le royaume de Naples-Sicile lui a été attribué par le pape Urbain IV en 1266. Un incident mineur – la main portée par un Français sur une fille de la noblesse sicilienne – déclenche le massacre des Français, le lundi de Pâques (30 mars 1282) : les Vêpres siciliennes. Après Palerme, Messine se soulève le 28 avril. Les Français sont expulsés de Sicile, mais gardent Naples.
« La féodalité, ce vieux tyran caduc, gagna fort à mourir de la main d’un tyran. »271
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, Le Moyen Âge, tome VI
Le tyran est Louis XI. Notre historien n’aime guère ce grand roi plein de petitesses, qui n’en finit pas de finir, avant l’explosion heureuse de la Renaissance.
La féodalité est également très attaquée par le peuple, comme en témoigne le chroniqueur Froissart citant ce cri lancé lors de la Jacquerie de 1358 par les paysans accablés de redevances seigneuriales : « Tous les nobles du royaume, chevaliers et écuyers, honnissaient et trahissaient le royaume, et ce serait grand bien qui tous les détruirait. »
« Le jeune roi était né vieux. Il avait de bonne heure beaucoup vu, beaucoup souffert. De sa personne, il était faible et malade. Tel royaume, tel roi. »306
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1837)
Jean II le Bon meurt le 8 avril 1364 à Londres où il s’est rendu en décembre 1363 pour prendre la place de son fils Louis d’Anjou – otage des Anglais au terme du traité de paix de Brétigny, le roi s’était enfui, violant son serment.
Malgré sa constitution fragile, le futur Charles V a fait preuve lors de sa régence d’un grand sens politique, face à Étienne Marcel, à Charles le Mauvais roi de Navarre… et aux Anglais pendant la « Guerre de Cent Ans » (1336-1453), chrononyme donné par les historiens du XIXe siècle à une période de 116 ans, en réalité beaucoup plus courte.
« Pendant les jours saints de chaque semaine (du mercredi soir au lundi matin), toute guerre était interdite : c’est ce qu’on appela la paix, plus tard la trêve de Dieu. »
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome II, Le Moyen Âge (1835)
Le Moyen Âge vit et meurt sous le signe de Dieu, pour le pire et le meilleur, entre croisades et cathédrales. Sa première héroïne est elle aussi une « créature de Dieu » à tous les sens du terme.
« Une enfant de douze ans, une toute jeune fille, confondant la voix du cœur et la voix du ciel, conçoit l’idée étrange, improbable, absurde si l’on veut, d’exécuter la chose que les hommes ne peuvent plus faire, de sauver son pays. »334
Jules MICHELET (1798-1874), Jeanne d’Arc (1853)
Le personnage inspire sans doute ses plus belles pages à notre premier historien du XIXe siècle : « Née sous les murs mêmes de l’église, bercée du son des cloches et nourrie de légendes, elle fut une légende elle-même, rapide et pure, de la naissance à la mort. »
D’autres historiens font de Jeanne une bâtarde de sang royal, peut-être la fille d’Isabeau de Bavière et de son beau-frère Louis d’Orléans, ce qui ferait d’elle la demi-sœur de Charles VII. Mais princesse ou bergère, c’est bien un personnage providentiel qui va galvaniser les énergies et rendre l’espoir à tout un peuple – et d’abord à son roi.
« Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie, chez nous, est née du cœur d’une femme, de sa tendresse, de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour nous. »349
Jules MICHELET (1798-1874), Jeanne d’Arc (1853)
Princesse (bâtarde de sang royal) ou simple bergère de Domrémy, petit village de la Lorraine, le mystère nourrit la légende, et la fulgurance de cette épopée rend le sujet toujours fascinant, six siècles plus tard. La récupération politique est une forme d’exploitation du personnage, plus ou moins fidèle au modèle.
L’histoire de Jeanne inspirera d’innombrables œuvres littéraires, cinématographiques et artistiques, signées : Bernard Shaw, Anatole France, Charles Péguy, Méliès, Karl Dreyer, Otto Preminger, Roberto Rossellini, Robert Bresson, Luc Besson, Jacques Rivette, Jacques Audiberti, Arthur Honegger, etc. Et L’Alouette de Jean Anouilh : « Quand une fille dit deux mots de bon sens et qu’on l’écoute, c’est que Dieu est là. […] Dieu ne demande rien d’extraordinaire aux hommes. Seulement d’avoir confiance en cette petite part d’eux-mêmes qui est Lui. Seulement de prendre un peu de hauteur. Après Il se charge du reste. »
DE LA RENAISSANCE AU SIECLE DES LUMIÈRES.
« En 1619, on avait à grand bruit imprimé dans Le Mercure, pour la joie de la France, que le roi commençait enfin à faire l’amour à la reine. »676
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-septième siècle, Henri IV et Richelieu (1857)
La grande Histoire est faite aussi de ces petites histoires et le peuple se passionne pour les secrets d’alcôves royales. Anne d’Autriche « était arrivée à 13 ans. Et, pendant trois ans, son mari avait oublié qu’elle existât. » Il faudra encore vingt ans pour que naisse un enfant de cette union.
Louis XIII ne négligeait pas sa femme pour s’occuper de ses maîtresses, étant par nature, en cela comme en presque tout, bien différent de son père (Henri IV) et de son fils (Louis XIV) !
« À Dieu ne plaise que l’adultère entre jamais en ma maison ! », dit-il un jour. Son homosexualité n’est pas certaine, non plus que son impuissance, mais il préfère le commerce de ses favoris à celui des femmes.
« Quelle tragédie plus sombre que sa personne même ! Auprès Macbeth est gai […] Le plus souvent il ravalait le fiel et la fureur, couvrait tout de respect, de décence ecclésiastique. »688
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-septième siècle, Richelieu et la Fronde (1858)
Il parle du plus grand de nos ministres, implacable créateur de la « raison d’État ». Le sens et le goût du secret reviennent souvent dans les lettres signées Richelieu. Dans une tragédie qui lui est attribuée – Mirame – on trouve cet alexandrin : « Savoir dissimuler est le savoir des rois. »
« Ici rien pour la nature. Dieudonné est le fils de la raison d’État. »726
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome XIV (1877)
L’historien remet l’événement en perspective. La très longue stérilité du mariage de Louis XIII et d’Anne d’Autriche faisait craindre pour la succession. « L’enfant apparut au moment où la mère se croyait perdue si elle n’était enceinte. Il vint exprès pour la sauver. »
Le roi étant peu empressé auprès de la reine, les bonnes âmes murmurent les noms d’amants supposés (comme le comte de la Rivière). Un doute planera toujours sur la filiation entre Louis XIII le Juste et ce petit Dieudonné qui deviendra Louis XIV le Grand.
« La Fronde est réputée, non sans cause, pour une des périodes les plus amusantes de l’histoire de France, les plus divertissantes, celle où brille d’un inexprimable comique la vivacité légère et spirituelle du caractère national. »748
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-septième siècle, Richelieu et la Fronde (1858)
L’historien du XIXe siècle confirme le jugement de Voltaire, historien au XVIIIe du Siècle de Louis XIV (1751). Les intrigues princières, les aventures amoureuses et le rôle joué par des femmes souvent extravagantes accentuent le caractère passionnel, brouillon et tourbillonnant de cette guerre.
Mais les diverses frondes qui se succèdent de 1648 à 1653 vont quand même laisser la France en état de choc et de misère.
« La régente espagnole ouvre son règne de quinze ans par un chemin de fleurs. Elle est femme et elle a souffert. Les cœurs sont attendris d’avance. Elle est faible. Chacun espère en profiter. »760
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-septième siècle, Richelieu et la Fronde (1858)
Anne d’Autriche, fille de Philippe III d’Espagne, bénéficie selon Michelet de ce qu’on appellerait aujourd’hui un état de grâce : « Ce peuple singulier, qui parle tant de loi salique, est tout heureux de tomber en quenouille. Sans qu’on sache pourquoi ni comment, cette étrangère est adorée. » Pas pour longtemps.
« Louis XIV jeune fut aimé de deux personnes, du peuple et de La Vallière. »
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome XIV
Élégant raccourci mêlant la grande et la petite histoire du Siècle de Louis XV. De fait, le peuple a adoré le jeune roi qui danse aussi bien qu’il fait la guerre – son métier de roi. De santé robuste, il eut aussi beaucoup de maîtresses et La Vallière fut la plus surprenante.
Louis XIV s’était épris de sa belle-sœur, Henriette (femme de Philippe), plus attirante que la reine, d’ailleurs enceinte en cet été 1661. Mais ayant horreur du scandale, le roi feint une galanterie pour Louise de La Vallière, sa fille d’honneur : « Il serait trop redoutable, s’il n’était pas roi ! » On lui répète le propos… qui déclenche aussitôt la passion chez l’homme rêvant d’être aimé pour lui-même. Première grande favorite en titre du règne, elle devient duchesse en 1667… et finit carmélite (entrant au couvent à 30 ans).
« Toute la bourgeoisie fut tenue sous la terreur d’un arbitraire indéfiniment élastique qui croissait ou baissait à la volonté des commis. Ces commis gouvernèrent […] sous le nom d’ »intendants », armés d’un pouvoir triple de justice, police et finances […] Un seul roi reste en France […] c’est l’Intendant, l’envoyé du ministre. »834
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-septième siècle, Richelieu et la Fronde (1858)
Les intendants, jadis itinérants, se fixent en 1666 dans les provinces, chacun coiffant une « généralité » (circonscription géographique qui recoupe celle des recettes générales). Nommé par le roi, révocable à volonté, l’intendant est l’agent docile et dévoué du pouvoir central. Surchargé de travail, il s’entoure de subdélégués, eux-mêmes aidés par des adjoints sur lesquels certains se déchargent pratiquement du pouvoir d’administrer. Ce système d’administration royale est plus efficace dans les villes que dans les campagnes, vu la lenteur des communications et l’insuffisance des routes.
Les préfets, assistés des sous-préfets, exerceront à partir de 1800 des fonctions analogues aux intendants, dans les départements créés par la Révolution.
« Nous achevons les soixante-douze années du règne de Louis XIV. Pénible étude, mais vraiment instructive. Ce n’est pas seulement le plus long règne de l’histoire, c’est le plus important, comme type et légende du gouvernement monarchique. L’Europe l’a accepté ainsi. Elle n’a point du tout accepté les glorieuses tyrannies militaires qui ont pu suivre. Elle n’y a vu qu’un accident sinistre. Mais Louis XIV est la règle, le roi des honnêtes gens. »
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome XIV
« Le bien, le mal, le pire, on a tout imité de lui. Il est le vrai et le complet miroir où tous les rois ont regardé. Ils ont copié servilement sa cour, son administration, ses fautes surtout. La France même de 1793 lui a voté les lois de la Terreur et le régime des suspects. »
Raccourci osé, mais la thèse est défendable. En tout cas, le Versailles de Louis XIV a fasciné l’Europe de son siècle et les grands classiques du règne (à commencer par Molière et Racine) sont immortels.
« Ce traité […] fut un bienfait pour les deux peuples et pour l’Europe. Il menait à la paix réelle, solide et sérieuse, pour laquelle le monde haletait depuis la fausse paix d’Utrecht qui n’avait rien fini. »1076
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome XVII (1877)
Parole d’historien sur l’accord passé entre Georges Ier, roi d’Angleterre, et Philippe d’Orléans, Régent de France : l’accord franco-anglais, négocié par l’abbé Dubois, vise l’Espagne et devient Triple Alliance avec l’adhésion des Provinces-Unies, puis Quadruple Alliance avec l’adhésion de l’empereur, le 2 août 1718. Une guerre, brève, contre l’Espagne, met fin aux rêves de puissance militaire de Philippe V et à ses visées sur le royaume de France : la santé très fragile de l’enfant Louis XV faisait craindre une guerre de succession et le roi d’Espagne (Bourbon, petit-fils de Louis XIV) était poussé par les ambitions de sa seconde femme, Élisabeth Farnèse.
« L’Encyclopédie fut bien plus qu’un livre. Ce fut une faction. À travers les persécutions, elle alla grossissant. L’Europe entière s’y mit. Belle conspiration générale qui devint celle de tout le monde. Troie entière s’embarqua elle-même dans le cheval de Troie. »1132
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-huitième siècle, Louis XV (1866)
Michelet est l’enfant des Lumières et tout l’inspire dans ce siècle, à commencer par son esprit et ses philosophes qui vont amener la Révolution (sans la vouloir).
L’affaire de l’Encyclopédie commence : le scepticisme de l’article « Certitude » alerte les jésuites, et les jansénistes se mettent pour une fois dans leur camp. Le 7 février 1752, un arrêt du Conseil d’État interdit la vente et la détention des deux premiers tomes : l’Encyclopédie est accusée « d’élever les fondements de l’irréligion et de l’incrédulité […] d’insérer plusieurs maximes tendant à détruire l’autorité royale, à établir l’esprit d’indépendance et de révolte ». Mme de Pompadour, par haine des jésuites, s’oppose à la persécution des Encyclopédistes, et Malesherbes, directeur de la librairie (chargé de surveiller la publication des livres et donc responsable de la censure), veut une politique libérale. En mai 1752, le gouvernement prie Diderot et d’Alembert de se remettre à l’ouvrage. Mais la cabale continuera.
DE LA RÉVOLUTION A L’EMPIRE
« De la première page à la dernière, elle [la Révolution] n’a qu’un héros : le peuple. »1273
Jules MICHELET (1798-1874), Le Peuple (1846)
Fils d’un imprimeur ruiné par le régime de la presse sous le Consulat et l’Empire, notre historien a connu dans sa jeunesse la pauvreté, sinon la misère. Il en garde un profond amour du peuple. Écrivain engagé dans les luttes de son temps riche en révolutions d’un autre style, témoignant contre la misère des ouvriers, il composera dans l’enthousiasme son Histoire de la Révolution française : dix ans et sept volumes pour une œuvre inspirée, remarquablement documentée (pour l’époque où il écrit). Les plus belles pages de son œuvre maintes fois rééditée, mentionnée sous le terme générique d’« Histoire de France ».
« Si de Rousseau vint Robespierre, « de Diderot jaillit Danton ». »1300
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-huitième siècle, Louis XV, citant Auguste COMTE (1798-1857)
Il montre l’influence des philosophes du siècle des Lumières sur les révolutionnaires. Elle est évidente, mais chacun a le sien. La richesse, la diversité, la complexité de Diderot, homme de tous les paradoxes, devaient naturellement plaire à Danton – et repousser l’intransigeant Robespierre dont le livre de chevet n’était autre que Le Contrat social.
« La convocation des États généraux de 1789 est l’ère véritable de la naissance du peuple. Elle appela le peuple entier à l’exercice de ses droits. »1314
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)
Convoqués le 5 juillet 1788, les États généraux se réunissent pour la première fois le 5 mai 1789 : 1 139 représentants, dont 578 du tiers état, dans la salle des Menus-Plaisirs à Versailles.
« L’Assemblé, séance tenante, abolit la noblesse héréditaire (19 juin 1790). La plupart de ceux qui avaient voté y eurent regret le lendemain. L’abandon des noms de terre, le retour aux noms de famille presque oubliés, désorientaient tout le monde : La Fayette devenait tristement M. Motier, Mirabeau enrageait de n’être plus que Riquetti. »
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)
Impossible de ne pas comparer avec la fameuse « nuit du 4 août » (1789) et l’abolition des privilèges décrite par l’historien Jacques Bainville dans son Histoire de France : « Dans une sorte de vertige, ce fut à qui proposerait d’immoler un privilège. Après les droits seigneuriaux, la dîme, qui avait cependant pour contrepartie les charges de l’assistance publique. » Et le cri du cœur d’Armand de Gontaut, un aristocrate apostrophant à l’aube ses pairs : « Messieurs, qu’est-ce que nous avons fait ? »
En un « quinquennat » et trois Assemblées, la Révolution multiplie les jours, les nuits, les heures héroïques et historiques.
« Ce jour-là, tout était possible. Toute division avait cessé; il n’y avait ni noblesse, ni bourgeoisie, ni peuple. L’avenir fut présent… c’est-à-dire, plus de temps… Un éclair et l’éternité. »1
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)
14 juillet 1790, jour anniversaire de la prise de la Bastille, c’est la Fête de la Fédération. « Il ne tenait à rien, ce semble, que l’âge social et religieux de la Révolution, qui recule encore devant nous, ne se réalisât. Si l’héroïque bonté de ce moment eût pu se soutenir, le genre humain gagnait un siècle ou davantage ; il se trouvait avoir, d’un bond, franchi un monde de douleurs…
Un tel état dure-t-il ? Était-il bien possible que les barrières sociales, abaissées ce jour-là, fussent laissées à terre, que la confiance subsistât entre des hommes de classes, d’intérêts, d’opinions diverses ?
Difficile, à coup sûr, moins difficile pourtant qu’à nulle époque de l’histoire du monde. Des instincts magnanimes avaient éclaté dans toutes les classes, qui simplifiaient tout. Des nœuds insolubles avant et après se résolvaient alors d’eux-mêmes. » Comment mieux exprimer l’importance de ce jour-là ?
« C’est une conjuration pour l’unité de la France. Ces fédérations de province regardent toutes vers le centre, toutes invoquent l’Assemblée nationale, se rattachent à elle, c’est-à-dire à l’unité. Toutes remercient Paris de son appel fraternel. »1370
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)
L’historien de la Révolution voit en cette fête du 14 juillet 1790 le point culminant de l’époque, son génie même. La plupart des historiens contemporains pensent de même. C’est le jour de tous les espoirs. Et le peuple chante la plus gaie des carmagnoles : « Ah ! ça ira, ça ira, ça ira /Le peuple en ce jour sans cesse répète, / Ah ! ça ira, ça ira, ça ira. / Malgré les mutins tout réussira. »
Un an plus tard, le plus célèbre « refrain de la Révolution française », né bon enfant, se durcit et se radicalise, quand une main anonyme ajoute ce couplet vengeur. Toujours sur le même air de contredanse populaire du Carillon national : « Ah ! ça ira, ça ira, ça ira, / Les aristocrates à la lanterne, / Ah ! ça ira, ça ira, ça ira, / Les aristocrates on les pendra. »
« Les Jacobins ne sont pas la Révolution, mais l’œil de la Révolution, l’œil pour surveiller, la voix pour accuser, le bras pour frapper. »1401
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)
Les Jacobins deviennent l’aile gauche de la nouvelle assemblée. Rappelons l’importance du club des Jacobins, société révolutionnaire créée en octobre 1789 (sous le nom de Société des amis de la Constitution). De tendance d’abord modérée (avec Barnave, du Port, La Fayette, de Lameth, Mirabeau, Sieyès, Talleyrand, Brissot et Robespierre « première manière »), le club se scinde après la fuite du roi à Varennes et l’affaire du Champ de Mars. Il prend le nom de Société des amis de la Liberté et de l’Égalité, les républicains y restent, et les modérés partent créer le club des Feuillants.
Les clubs sont le siège d’une vie politique intense – d’autant plus qu’aucun député de la Constituante ne pouvait être élu à la nouvelle assemblée. Tous les grands orateurs et tous les meneurs se retrouvent aux Jacobins, aux Feuillants, aux Cordeliers, alors que la Législative réunit des hommes nouveaux et sans expérience.
« 100 000 Français chassés à la fin du XVIIe siècle, 120 000 Français chassés à la fin du XXVIIIe siècle, voilà comment la démocratie intolérante achève l’œuvre de la monarchie intolérante. »1409
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)
Il compare les deux émigrations qui ont marqué l’histoire de la France moderne : lors de la révocation de l’édit de Nantes de Louis XIV contre les protestants, et après les mesures révolutionnaires contre les émigrés. Ses chiffres sont même inférieurs à la réalité.
La première grande loi est votée par la Législative, le 8 avril 1792 : confiscation (en attendant la vente) des biens de tous ceux qui étaient absents de France depuis le 1er juillet 1789 et qui ne seraient pas de retour sous un mois. Premier émigré célèbre, le comte d’Artois, le 17 juillet 1789. L’émigration va s’amplifier à la fin de l’année 1792 et changer de nature : plus seulement les aristocrates, mais toutes les classes de la société.
La liste des émigrés (close par Bonaparte en 1800) comportera 145 000 noms. Celle, plus fiable, de Ronald Greer (étude de Harvard, en 1951) donne 150-160 000 noms. Le tiers état représente 51 %, les privilégiés 42 % (reste 7 % de non identifiés).
« La nature elle-même, dans la langue charmante de ses fruits, de ses fleurs, dans les bienfaisantes révélations de ses dons maternels, nomme les phases de l’année. »1441
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)
Le calendrier agricole de Fabre d’Églantine, député montagnard (et auteur de la romance « Il pleut, il pleut bergère ») l’emporte sur d’autres propositions. Première victoire d’une écologie qui ne dit pas encore son nom et qui inspire le lyrisme bucolique de notre historien le plus romantique.
Fabre d’Églantine est d’ailleurs l’auteur d’une Étude de la nature (1783) dédiée à Buffon, savant naturaliste, biologiste, et créateur du Jardin des Plantes à Paris.
Vendémiaire, brumaire, frimaire renvoient aux vendanges, aux brumes, aux frimas de l’automne. Nivôse, pluviôse et ventôse évoquent neiges, pluies et vents d’hiver. Les mois du printemps leur succèdent, germinal, floréal, prairial, associés à germination, floraison et prairies. Enfin, l’été de messidor, thermidor et fructidor, qui rappellent moissons, chaleur et fruits.
« Louis XVI hors de Versailles, hors du trône, seul et sans cour, dépouillé de tout l’appareil de la royauté, se croyait roi malgré tout, malgré le jugement de Dieu, malgré sa chute méritée, malgré ses fautes […] C’est là ce qu’on voulut tuer. C’est cette pensée impie. »1466
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)
L’historien dit le paradoxe de cette tragédie à la fois personnelle et nationale : Louis XVI, profondément croyant, demeure en son âme et conscience « roi de droit divin » et non pas roi des Français dans une monarchie constitutionnelle – comme en Angleterre depuis un siècle. La France profonde, très catholique, partage cette « pensée impie », d’où le traumatisme causé par ce procès public à l’issue passionnément attendue.
« La mort des Girondins, demandée tant de fois, fut le calmant qu’on crut devoir donner à la fureur des violents. »1551
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)
C’est le tragique épilogue du conflit entre Montagnards et Girondins. Mais leur mort n’arrête pas le cours d’une Révolution emballée jusqu’à la Terreur, avant le coup d’État (final) de Thermidor.
« Accueilli de 1791 à 1794 par le menuisier Duplay, Robespierre durant ces trois années fut heureux. Mais son caractère ne s’en modifia point. Tout s’aigrit dans un vase aigre. »
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)
Personnage complexe, tout entier voué à « sa » Révolution qui va le révéler à lui-même : « Le Ciel qui me donna une âme passionnée pour la liberté m’appelle peut-être à tracer de mon sang la route qui doit conduire mon pays au bonheur. J’accepte avec transport cette douce et glorieuse destinée. » Il lui reste deux ans à vivre : deux ans pour éliminer les factions et les factieux et marquer la Révolution de son empreinte : « Nous sommes intraitables, comme la vérité, inflexibles, uniformes, j’ai presque dit insupportables comme les principes » dit-il à la tribune de la Convention, devenu le dictateur, détenteur de la vérité, le personnage dont l’histoire gardera le souvenir, inexorablement associé à la Terreur.
« Par devant l’Europe, la France, sachez-le, n’aura jamais qu’un seul nom, inexpiable, qui est son vrai nom éternel : la Révolution. »1632
Jules MICHELET (1798-1874), Le Peuple (1846)
Jugement à nuancer : rappelons que pour cet historien de gauche, la Révolution de 1789 devrait finir en 1790, sur le Champ de Mars, en son point culminant, le jour de la Fête de la Fédération. La Terreur fit aussi partie de notre Révolution française.
« Qu’était la Grande Armée, sinon une France guerrière d’hommes qui, sans famille, ayant de plus perdu la République, cette patrie morale, promenait cette vie errante en Europe ? »1763
Jules MICHELET (1798-1874), Extraits historiques (posthume, 1907)
Telle est la définition humaine et romantique.
Sur le plan institutionnel, la « Grande Armée » est d’abord le nom générique donné par Napoléon à l’armée d’invasion, basée à Boulogne pour attaquer l’Angleterre en franchissant la Manche – projet abandonné après Trafalgar (1805) et l’anéantissement de la flotte française.
La Grande Armée désigne ensuite l’armée napoléonienne, la meilleure du monde : grande par le nombre des soldats, plus d’un million, et cent mille hommes de réserve ; grande aussi par la qualité, l’organisation, les généraux d’exception. Elle est initialement composée de sept corps d’armée, les sept « torrents » commandés par les maréchaux Augereau, Bernadotte, Davout, Lannes, Ney, Soult, et par le général Marmont.
3. Thèmes et mots-Clés
HISTOIRE
« Augustin Thierry avait appelé l’histoire narration ; Guizot, analyse ; je l’appelle résurrection. »
Un des mots les plus cités de Michelet. Une histoire politique des intellectuels (2010), Alain Minc.
« L’histoire est une résurrection de la vie intégrale non pas dans ses surfaces, mais dans ses organismes intérieurs et profonds. »
Histoire de France. Préface de 1869.
« Avec le monde a commencé une guerre qui doit finir avec le monde, et pas avant : celle de l’homme contre la nature, de l’esprit contre la matière, de la liberté contre la fatalité. L’histoire n’est pas autre chose que le récit de cette interminable lutte. »
Introduction à l’Histoire universelle (1843).
« Je fais une histoire générale et non celle d’un règne… Forcé d’abréger ou d’omettre une infinité de détails, j’ai d’autant plus sérieusement examiné, pesé leur importance relative. »
Histoire de France.
« L’histoire ne doit pas dire seulement des choses vraies, mais les dire dans la vraie mesure, ne pas les mettre toutes à la fois sur le premier plan, ne pas subordonner les grandes en exagérant les petites. »
Histoire de France.
« L’histoire de France commence avec la langue française. La langue est le signe principal d’une nationalité. »
Histoire de France.
« Chaque époque rêve la suivante. »
FRANCE
« J’aperçus la France. Elle avait des annales et non point une histoire. »
« Toute autre histoire est mutilée, la nôtre seule est complète ; prenez l’histoire de l’Italie, il y manque les derniers siècles ; prenez l’histoire de l’Allemagne, de l’Angleterre, il y manque les premiers. Prenez celle de la France ; avec elle, vous savez le monde. »
« Le Moyen Âge, la France du Moyen Âge, ont exprimé dans l’architecture leur plus intime pensée. Les cathédrales de Paris, de Saint Denis, de Reims, en disent plus long que de longs récits. La pierre s’anime et se spiritualise sous l’ardente et sévère main de l’artiste. »
Histoire de France.
« Le monde pense, la France parle. »
Histoire de la Révolution française.
« Je rentre en moi. J’interroge sur mon enseignement, sur mon histoire, son tout-puissant interprète, l’esprit de la Révolution. Lui il sait, et les autres n’ont pas su. Il contient leur secret, à tous les temps antérieurs. En lui seulement la France eut conscience d’elle-même. »
Histoire de la Révolution française.
RÉVOLUTION
« Par devant l’Europe, la France, sachez-le, n’aura jamais qu’un seul nom, inexpiable, qui est son vrai nom éternel : la Révolution. »
« De la première page à la dernière, elle [la Révolution] n’a qu’un héros : le peuple. »
« Je définis la Révolution, l’avènement de la Loi, la résurrection du Droit, la réaction de la Justice. »
« Nous devons ce respect à tant d’hommes héroïques de ne point déplorer leur sort, de leur donner une histoire virile et digne d’eux. S’ils ont été fermes à mourir, soyons fermes à les raconter. »
« Maintenant que nous avons fait des lois pour une nation, il ne nous reste plus qu’à faire une nation pour ces lois. »
« Hommes sensibles qui pleurez sur les maux de la Révolution (avec trop de raison sans doute), versez donc quelques larmes sur les maux qui l’ont amenée. »
« Le 13 juillet, Paris ne songeait qu’à se défendre. Le 14, il attaqua. Le 13 au soir, il y avait encore des doutes, et il n’y en eut plus le matin. Le soir était plein de trouble, de fureur désordonnée. Le matin fut lumineux et d’une sérénité terrible. Une idée se leva sur Paris avec le jour et tous virent la même lumière. Une lumière dans les esprits, et dans chaque cœur une voix : ‘Va, et tu prendras la Bastille’ . Cela était impossible, insensé, étrange à dire… Et tous le crurent néanmoins. Et cela se fit. L’attaque de la Bastille ne fut nullement raisonnable. Ce fut un acte de foi. »
« L’idée vitale de la Révolution, elle avait éclaté dans une incomparable lumière, de 89 à 92 : L’idée de Justice. Et pour la première fois, on avait su ce que c’est que la Justice. On avait fait jusque-là de cette vertu souveraine une sèche, une étroite vertu. Avant que la France l’eût révélé au monde ; on n’en avait jamais soupçonné l’immensité. Justice large, généreuse, humaine, aimante, et jusqu’à la tendresse, pour la pauvre humanité. »
« De même que, les sectes chrétiennes se multipliant, il y eut des jansénistes, des molinistes, etc., et il n’y eut plus de chrétiens, les sectes de la Révolution annulent la Révolution ; on se refait constituant, girondin, montagnard ; plus de révolutionnaire. »
« La révolution est en nous, dans nos âmes ; au-dehors, elle n’a point de monument. Vivant esprit de la France, où te saisirai-je si ce n’est en moi ? »
LE PEUPLE
« Le Peuple. Ce livre je l’ai fait de moi-même, de ma vie, et de mon cœur. Il est sorti de mon expérience bien plus que de mon étude. Je l’ai tiré de mon observation, de mes rapports d’amitié, de voisinage ; je l’ai ramassé sur les routes ; le hasard aime à servir celui qui suit toujours une même pensée. Enfin, je l’ai trouvé surtout dans les souvenirs de ma jeunesse. »
« Pour connaître la vie du peuple, ses travaux, ses souffrances, il me suffisait d’interroger mes souvenirs. »
« Lorsque les manufacturiers anglais vinrent dire à M. Pitt que les salaires élevés de l’ouvrier les mettaient hors d’état de payer l’impôt, il dit un mot terrible ‘Prenez les enfants’ »
« La politique est l’art d’obtenir de l’argent des riches et des suffrages des pauvres, sous prétexte de les protéger les uns des autres. »
« Respectez la misère, elle respectera l’opulence. »
« L’époque humaine et bienveillante de notre révolution a pour acteur le peuple même, le peuple entier, tout le monde. Et l’époque des violences, l’époque des actes sanguinaires, n’a pour acteurs qu’un nombre d’hommes minime. »
« De la première page à la dernière, elle [la Révolution] n’a qu’un héros : le peuple. »
L’ENSEIGNEMENT
« Combien l’éducation durera-t-elle? Juste autant que la vie. Quelle est la première partie de la politique ? L’éducation. La seconde ? L’éducation. Et la troisième ? L’éducation. » Le Peuple.
« Je voulus un vrai métier ; je pris celui que mes études me facilitaient, l’enseignement. »
« La vraie France, celle de la Révolution, déclara que l’enseignement était un sacerdoce, que le maître d’école était l’égal du prêtre. Elle posa en principe que la première dépense de l’État, c’était l’instruction. »
« Dans sa terrible misère, la Convention voulait donner cinquante-quatre millions à l’instruction primaire, et elle l’eût fait certainement, si elle eût duré davantage… Temps singulier où les hommes se disaient matérialistes, et qui fut en réalité l’apothéose de la pensée, le règne de l’esprit ! »
« Honte ! infamie ! … Le peuple qui paye le moins ceux qui instruisent le peuple (cachons nous pour l’avouer), c’est la France. »
LES FEMMES
« Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie, chez nous, est née du cœur d’une femme, de sa tendresse, de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour nous. »
« Je suis le fils de la femme. »
« Elle a eu mon mauvais temps, elle n’a pu profiter de mon meilleur. Jeune, je l’ai contristée, et je ne la consolerai pas. »
« La femme, dans les ménages pauvres, c’est l’économie, l’ordre, la providence. »
« (La femme) n’a d’amis que ses songes, ne cause qu’avec ses bêtes ou l’arbre de la forêt. Ils lui parlent ; nous savons de quoi. Ils réveillent en elle les choses que lui disait sa mère, sa grand-mère, choses antiques, qui pendant des siècles ont passé de femme en femme. »
« L’homme donne sa vie et sa sueur. Vous donnez, vos enfants. »
« Elle [Olympe de Gouges] a fondé le droit des femmes par un mot juste et sublime : ‘Elles ont bien le droit de monter à la tribune, puisqu’elles ont celui de monter à l’échafaud.’ »
« Elle [Madame Roland] arriva au pied de la Liberté colossale, assise près de l’échafaud, à la place où est l’obélisque, monta légèrement les degrés, et, se tournant vers la statue, lui dit, avec une grave douceur, sans reproche : ‘Ô Liberté ! que de crimes commis en ton nom !’ »
JEANNE D’ARC (1853)
« Née sous les murs mêmes de l’église, bercée du son des cloches et nourrie de légendes, elle fut une légende elle-même, rapide et pure, de la naissance à la mort. »
« Elle reçut sa religion, non comme une leçon, une cérémonie, mais dans la forme populaire et naïve d’une belle histoire de veillée, comme la foi simple d’une mère… Ce que nous recevons ainsi avec le sang et le lait, c’est chose vivante, la vie même. »
« Jamais les Juifs ne furent si animés contre Jésus que les Anglais contre la Pucelle. Elle les avait, il faut le dire, cruellement blessés à l’endroit le plus sensible, dans l’estime naïve et profonde qu’ils ont pour eux-mêmes. »
« À Orléans, l’invincible gendarmerie, les fameux archers, Talbot en tête, avaient montré le dos ; à Jargeau, dans une place et derrière de bonnes murailles, ils s’étaient laissés prendre ; à Patay, ils avaient fui à toutes jambes, fui devant une fille… Voilà qui était dur à penser, voilà ce que ces taciturnes Anglais ruminaient sans cesse en eux-mêmes. Une fille leur avait fait peur, et il n’était pas bien sûr qu’elle ne leur fit peur encore, tout enchaînée qu’elle était… Non pas elle, apparemment, mais le diable dont elle était l’agent, ils tâchaient du moins de le croire ainsi et de le faire croire. »
LA SORCIERE (1862)
« D’où date la Sorcière ? je dis sans hésiter : « Des temps du désespoir. » Du désespoir profond que fit le monde de l’Église. Je dis sans hésiter : ‘La Sorcière est son crime.’ »
L’œuvre fait partie de ses essais et ouvrages de mœurs, contestés, contestables. Michelet franchit la ligne et « se fait plaisir », réglant ici ses comptes avec la religion de son enfance et de la France.
Plus grave pour un historien, il se sert (sans le savoir) de mauvaises sources : l’Histoire de l’Inquisition en France est un ouvrage d’Étienne-Léon de Lamothe-Langon, publié en 1829 à Paris. Supposé s’appuyer sur des archives encore jamais exploitées du diocèse de Toulouse mises à la disposition de l’auteur par l’évêque Antoine Pascal Hyacinthe Sermet, les atroces récits de cette Histoire furent largement repris.
Deux historiens (Norman Cohn et Richard Kieckhefer) découvrirent la supercherie dans les années 1970 : les prétendues archives n’ont jamais existé. Lamothe-Langon qui avait rédigé des romans d’horreur gothiques fabriquera ensuite plusieurs autobiographies de personnages historiques français. Son Histoire de l’Inquisition est bourrée d’anachronismes et des événements majeurs qu’il décrit ne peuvent avoir eu lieu.
Restent nombre de passages à méditer !
« Nature les fait sorcières. - C’est le génie propre à la femme et son tempérament. Elle naît Fée. Par le retour régulier de l’exaltation, elle est Sybille. Par l’amour, elle est Magicienne. Par sa finesse, sa malice ( souvent fantasque et bienfaisante), elle est Sorcière et fait le sort, du moins endort, trompe les maux. »
« L’unique médecin du peuple, pendant mille ans, fut la Sorcière. Les empereurs, les rois, les papes, les plus riches barons, avaient quelques docteurs de Salerne, des Maures, des Juifs, mais la masse de tout état, et l’on peut dire le monde, ne consultait que la Saga ou Sage-femme. »
« Si elle ne guérissait, on l’injuriait, on l’appelait sorcière. Mais généralement par un respect mêlé de crainte, on la nommait Bonne dame, ou Belle dame (bella donna), du nom même qu’on donnait aux Fées. »
« Tous applaudissent au procès ; tous sont émus, frémissants, impatients de l’exécution. De pendus, on en voit assez. Mais le sorcier et la sorcière, ce sera une curieuse fête de voir comment ces deux fagots pétilleront dans la flamme. »
« (La femme) n’a d’amis que ses songes, ne cause qu’avec ses bêtes ou l’arbre de la forêt. Ils lui parlent ; nous savons de quoi. Ils réveillent en elle les choses que lui disait sa mère, sa grand-mère, choses antiques, qui pendant des siècles ont passé de femme en femme. »
« (Sous la Renaissance) les sorcières qui, partout, étaient sages-femmes. Jamais, dans ces temps, la femme n’eût admis un médecin mâle, ne se fût confiée à lui, ne lui eût dit ses secrets. Les sorcières observaient seules et furent, pour la femme surtout, le seul et unique médecin. »
4. Admirations, critiques et mauvais procès.
« Il faut le corriger par un peu de Voltaire. »15
SAINTE-BEUVE (1804-1869), cité par le comte d’Haussonville (1843-1924), homme politique et historien de la littérature, « Jules Michelet, sa vie et ses œuvres ». Revue des Deux Mondes, tome 15, 1876
« C’est poétique, est-ce juste historiquement ? » dit-il encore. Mais l’histoire littéralement inspirée de Jeanne d’Arc (1853), reprise de son Histoire de Franceet publiée séparément, désarmait la sévérité du grand critique qui n’aimait pas Michelet qualifié de « charlatan » – et détestait nombre d’auteurs… Force lui fut de reconnaître dans notre historien une puissance « avec laquelle il fallait capituler. » Cette réaction sera celle d’autres opposants. Ses admirateurs sont quand même plus nombreux. Très intéressant, le cas de Gabriel Monod qui a bien connu Michelet professeur, suivi un cursus comparable et consacré trois essais à l’historien le plus célèbre de son temps.
« Michelet commençait à parler : on oubliait aussitôt la fatigue et le froid, la nudité humide de celte installation misérable, pour vivre pendant deux heures dans un monde de féerie, où tout était lumière, chaleur et vie. Ce n’était pourtant pas un orateur… mais c’était un magicien. »
Gabriel MONOD (1844-1912), Michelet professeur à l’École normale (1827-1838), Figaro, 22 juillet 1882
« Ce n’était pourtant pas un orateur, au sens propre du mot, que ce professeur, unique entre tous, qui inspirait à ses élèves, a dit l’un d’eux, ‘la passion d’un amant pour sa maîtresse’. Il n’avait pas cette ampleur du style, de la voix et du geste, cette période large, nombreuse et châtiée qui transportait d’admiration les auditeurs d’un Cousin, d’un Guizot (qui furent ses professeurs) ou d’un Villemain ; mais c’était un magicien dont la parole tantôt lente et rêveuse, tantôt lancée en phrases brèves, ailées comme des flèches, faisait surgir devant l’esprit de ses auditeurs, par une sorte d’évocation, les idées et les images toujours imprévues, qui paraissaient jaillir comme d’elles-mêmes de son cerveau….L’éloquence de Michelet était faite d’esprit, de poésie, de sensibilité, d’enthousiasme, tout en étant nourrie de la plus forte culture classique, de l’érudition historique la plus étendue et de sérieuses études philosophiques. »
« Qu’il parlât de philosophie ou d’histoire, on retrouvait toujours chez lui l’homme d’imagination, pour qui l’idée ne devient saisissable que dans les faits qu’elle détermine, et l’homme de pensée, qui ne voit dans les faits que les symboles de l’idée qu’ils révèlent. » Histoire et philosophie, deux enseignements indissolublement liés pour donner le meilleur de lui-même à ses élèves et l’écrire pour un lectorat qui se révèlera « grand public, jusqu’à la réédition de son œuvre dans la prestigieuse collection Bouquins(1986, chez Robert Laffont).
« Cette langue si pure et si familière, qui s’élevait si haut quand il le fallait, qui s’abaissait aux détails les plus simples sans jamais devenir vulgaire, qui souvent laissait deviner plus qu’elle ne disait, hardie comme sa pensée, et pourtant correcte, ornée, comme il convenait à une conversation d’École normale, de citations grecques et latines, sans ombre de pédanterie. »
Jules SIMON (1814-1896), Secrétaire perpétuel de l’Académie, Notice sur la vie et les travaux de M. Michelet, Séance publique annuelle du 4 décembre 1886
Académicien français naturellement sensible à la langue et au style, philosophe et homme politique, Jules Simon appartient à la « République des camarades », dite aussi « République des Jules » si nombreux et critiqués à cette époque : Jules Ferry, Jules Guesde, Jules Ferry, Jules Grévy… Dans la République des lettres, Jules Michelet côtoyait aussi des Jules célèbres : Jules Renard, Jules Verne, Jules Romains, Jules Supervielle.
« Qu’on dise ce que l’on voudra, qu’on exige de l’historien un style plus sobre, une critique plus exacte, une discussion plus scrupuleuse des faits ; mais celui qui a écrit ces pages n’était pas seulement un peintre admirable de la nature et des sentiments, il avait aussi un sens historique profond. Si l’intelligence est en effet, comme a dit M. Thiers, la première qualité de l’historien, l’imagination est certainement la seconde. À quoi sert de raconter le passé, si ce n’est pas pour le faire revivre ? À quoi sert d’évoquer les morts, si ce n’est pas pour leur rendre le souffle et la parole ? »
Othenin d’HAUSSONVILLE (1843-1924). Revue des Deux Mondes, 1876
Homme politique et avocat, il est aussi historien de la littérature et naturellement sensible au style. Il juge très bien cet atout de Michelet, cet art de faire revivre le passé, de ressusciter des personnages. L’Histoire, n’est-ce pas cela aussi… ou d’abord ?
« Il ne faut pas perdre une occasion de redéclarer que Michelet est le génie même de l’histoire. D’abord parce que c’est vrai, et puis ça embête tout le monde, et c’est un si grand supplice pour nos grands amis les modernes. »
Charles PÉGUY (1873-1914), Œuvres complètes (posthume)
Mystique, amoureux de Jeanne d’Arc, déclaré « mort pour la France » (5 septembre 1914, volontaire aux premiers jours de la Grande Guerre), intellectuel engagé, militant socialiste, mais rejetant « l’âge moderne » de son temps, la lecture de Michelet (qui eut comme lui beaucoup d’ennemis de son vivant) comble Péguy à tout point de vue.
« Il ne faut pas oublier ce qu’étaient les études historiques aux environs de 1825, quand Michelet les abordait. Documentation insuffisante ? Mais il a dans ce domaine été un novateur. […] Michelet a si totalement gagné certaines batailles que nous ne songeons même plus qu’il les fallait gagner. »
Lucien FEBVRE (1878-1956), Michelet créateur de l’histoire de France (2014)
Dans ses Leçons au Collège de France de décembre 1943 à mars 1944, Lucien Febvre (cofondateur avec Marc Bloch de l’École des Annales) souligne le caractère novateur du travail historique de Michelet, comparé aux ouvrages d’Augustin Thierry et de François Guizot. « Et un labeur immense, des recherches considérables ont assuré les fondements d’une œuvre qui aujourd’hui nous paraît ruineuse. […] Mieux encore : n’oublions pas que les banalités d’aujourd’hui furent l’originalité presque révolutionnaire d’hier et d’avant-hier. »
Dans l’atmosphère patriotique de l946 - « Libération, Victoire » -, il exalte « Michelet, français au plus haut degré, Français portant en lui, non pas seulement la France du présent, mais la France de 25 siècles… Michelet n’a jamais fait que traduire dans sa langue magnifique et de tout son cœur, le sentiment de la France éternelle. »
« Relire Le Peuple, c’est bien retrouver cette pensée agile, toujours en mouvement, capable de mettre en rapport les observations du vécu quotidien et les plus larges perspectives de l’histoire française (et européenne), capable de décrire la patrie vivante à travers son expérience au fil de ses lectures, de Virgile et Pline à Fourier, Perdiguier et Proudhon, c’est redécouvrir au détour de chaque note et de chaque page le génie intuitif de Michelet, jamais égalé dans l’historiographie française. Un bain de jouvence, voire un retour nostalgique aux sources vives d’une autre histoire. »
Robert MANDROU (1921-1984), présentation de la nouvelle édition du Peuple, Flammarion (1992)
L’un des acteurs importants de la « Nouvelle Histoire », courant historiographique correspondant à la troisième génération de l’École des Annales française, il rend un vibrant hommage à notre premier grand historien, comme lui venu du peuple. Restent les nombreux critiques, souvent pour des raisons politiques… et opposées !
« La France moderne accepte Michelet pour patron, mais elle se trompe. »
Charles MAURRAS (1868-1952), Trois idées politiques, Chateaubriand, Michelet, Sainte-Beuve. Texte de 1898, réédité en 1912, 1922, 1928, 1952
Le chantre de l’Action française, incarnation revendiquée de l’extrême-droite, disserte brillamment sur ces trois grands noms chers à la vieille France. « Les bonheurs d’expression, les couleurs vives, les vues perçantes de Michelet ne peuvent tenir la place de la raison. Ses avantages naturels ne font que le livrer à plus de caprices : brut, amorphe, enfantin, il vagit quand les autres parlent. »
« Michelet bêlait l’union des classes, au temps où Marx écrivait le Manifeste du parti communiste… Je suis frappé de l’incohérence et de la banalité fréquente de sa pensée. »
Albert MATHIEZ (1874-1932), cité par Max Gallo, La Revanche de Michelet, Figaro, 26/01/2008
L’historien Max Gallo fait le bilan des « pour » et « contre » Michelet à l’occasion de la réédition de son œuvre majeure, L’Histoire de France(19 volumes, Éditions des Équateurs). Mathiez, professeur d’histoire et spécialiste de la Révolution française, fervent rousseauiste et robespierriste, lancera la comparaison entre jacobinisme et bolchevisme. Socialiste jusqu’en 1920, il s’enthousiasme pour la révolution d’Octobre et entre au Parti communiste français après le congrès de Tours. Entre Marx et Michelet, son choix politique et idéologique s’imposait.
« Connaissez-vous quelque chose de plus nul que Michelet ? […] le culte de Michelet… soit…, il est vrai qu’il y a de belles pages, mais sur le plan de la recherche historique, c’est nul. »
Pierre CHAUNU (1923-2009) Pierre Chaunu, François Dosse, L’Instant éclaté. Entretiens (1994)
Protestant aux positions souvent extrêmes, résolument à droite de l’échiquier politique et opposé à l’hymnologie révolutionnaire, il ne peut que réprouver le « culte de Michelet ». Le procès en nullité est naturellement excessif, mais on a pu dénoncer des erreurs dans l’œuvre du premier historien de France. L’Histoire en citationsqui lui fait la part belle en a trouvé une et n’a pas hésité à la dénoncer - tout en la contextualisant !
« L’extrême rapidité des voyages en chemin de fer est une chose anti médicale. Aller, comme on fait, en vingt heures, de Paris à la Méditerranée, en traversant d’heure en heure des climats si différents, c’est la chose la plus imprudente pour une personne nerveuse. Elle arrive ivre à Marseille, pleine d’agitation, de vertige. »2282
Jules MICHELET (1798-1874), La Mer (1861)
Évitons pourtant de faire un mauvais procès à l’auteur ! Tous les progrès techniques ont commencé par susciter la peur ou le déni d’utilité. Le XIXe siècle, particulièrement riche en inventions, pourrait alimenter un étonnant bêtisier technologique. Le chemin de fer n’échappe pas à la règle.
Rappelons le mot de Thiers, en 1836 : « Il faudra donner des chemins de fer aux Parisiens comme un jouet, mais jamais on ne transportera ni un voyageur ni un bagage. » Selon François Arago, polytechnicien, astronome et physicien mort en 1853 et témoignant donc des tout premiers chemins de fer, « le transport des soldats en wagon les efféminerait » et les voyageurs sont mis en garde contre le tunnel de Saint-Cloud qui peut causer « des fluxions de poitrine, des pleurésies et des catarrhes. »
« Qu’on l’adore ou qu’on le déteste, Michelet est pour tout historien de la France la référence majeure et pour tout citoyen l’une des figures tutélaires de la France républicaine. »
Pierre NORA (né en 1931), Michelet, historien de la France (1999)
Laissons le mot de la fin à ce confrère licencié ès lettres et en philosophie, agrégé d’histoire, mêlant « un travail d’essayiste » et « d’enquêteur du présent », soucieux de « publier tels quels les documents d’archives montés par des historiens et rendu accessibles au grand public », académicien français toujours militant pour les causes qui lui tiennent à cœur… à commencer par Michelet.
« Comment n’être pas séduit, au-delà de tous les clivages politiques, et même envoûté par ce style, hallucinatoire, électrique, syncopé, qui n’est comparable par sa puissance d’évocation qu’aux Mémoires d’outre-tombe et à La Recherche du temps perdu? » D’aucun ont aussi comparé avec l’incantation de Malraux accompagnant la panthéonisation de Jean Moulin, 19 décembre 1964.
« Michelet a connu bien des identités successives. Il y a eu le grand poète romantique et libéral, le Michelet des manuels de classe et des commémorations IIIe République : Jeanne d’Arc, le peuple et la Révolution. Il y a eu le national-résistant que chantait Péguy et que Malraux déclamait. Il y a eu l’historien des profondeurs, explorateur de toutes les formes d’histoire, le saint patron des Annales auquel a fait écho le Michelet abyssal et névrotique de Roland Barthes. Au-delà de ces multiples personnages, peut-être y a-t-il place aujourd’hui pour un autre Michelet : celui auquel tous les Français, de droite comme de gauche, doivent leur idée de la France. Celui que les étudiants du Quartier latin appelaient déjà en le regardant passer : Monsieur Symbole. Michelet, le grand incarnateur. »
« Je pense que dans le roman national, il y a des grands repères qui aident à construire notre appartenance à la Nation, qui sont le rapport à notre Histoire et à ses grandes figures françaises. »
Emmanuel MACRON (né en 1977), Interview, La Fabrique de l’Histoire - France Culture, 9 mars 2017
Le candidat qui sera élu président le 14 mai, aussi intelligent qu’habile et cultivé, sait l’importance de l’Histoire, cette passion française, pour « faire nation » avec Clovis, Jeanne d’Arc… « Dans ces grandes figures françaises se cristallisent notre rapport à une continuité dans le temps, à l’énergie du peuple français, à une aspiration à la liberté, à l’indépendance, et évidemment le rapport au moment fondateur qu’est la Révolution française, le rapport à la laïcité… Ces blocs que nous avons dans notre Histoire constituent le roman national, l’adhésion à la Nation et à la République. Donc ça, je pense que c’est très important à la fois de l’enseigner, de le consolider, parce que c’est constitutif de ce que nous sommes. »
Le nom de Michelet s’impose, son œuvre et sa passion au siècle qui inventa l’Histoire en tant que science humaine. Reste une confusion regrettable entre roman et récit national. Un édito à venir va tenter de faire le point.
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