« Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, vivre de cette sorte pour une grande nation […] c’est abdiquer […] c’est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième. »
(1832-1893)
Discours et opinions de Jules Ferry (1897), Jules Ferry, Paul Robiquet.
Deux fois président du Conseil, entre septembre 1880 et mars 1885, il donne un essor considérable à la politique coloniale de la France : à la place des conquêtes continentales devenues impossibles, il prône l’aventure au-delà des mers. Pour lui, « les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures […] le devoir de [les] civiliser. »
La réponse de Georges Clemenceau à la tribune est cinglante : « Races supérieures ? races inférieures, c’est bientôt dit ! Pour ma part, j’en rabats singulièrement depuis que j’ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand. Depuis ce temps, je l’avoue, j’y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation, et de prononcer : homme ou civilisation inférieurs. Race inférieure, les Hindous ! Avec cette grande civilisation raffinée qui se perd dans la nuit des temps ! avec cette grande religion bouddhiste qui a quitté l’Inde pour la Chine, avec cette grande efflorescence d’art dont nous voyons encore aujourd’hui les magnifiques vestiges ! Race inférieure, les Chinois ! avec cette civilisation dont les origines sont inconnues et qui paraît avoir été poussée tout d’abord jusqu’à ses extrêmes limites. Inférieur Confucius ! » (juillet 1885)
Cette politique coloniale est très attaquée par la droite – elle coûte cher en crédits et en hommes – et par la gauche nationaliste – elle détourne de la politique de revanche. Un échec provoquera la chute de « Ferry-Tonkin » et l’arrêt de cette première expansion coloniale, qui recommence vers 1890. Un ministère des Colonies sera créé en 1894.
« La politique coloniale est fille de la politique industrielle. »
Jules FERRY (1832-1893)
Il donnera plus tard une théorie de sa politique coloniale, menée au coup par coup quand il est au pouvoir. L’expansion est nécessaire à un grand pays comme la France, pour satisfaire des besoins à la fois militaires (bases dans le monde entier), commerciaux (marchés et débouchés pour son expansion économique), culturels (prestige national oblige, pour « sa langue, ses moeurs, son drapeau, son armée et son génie »). La Troisième République édifie peu à peu le second empire colonial du monde (après le Commonwealth), aussi vrai qu’« un mouvement irrésistible emporte les grandes nations européennes à la conquête de terres nouvelles » (Jules Ferry).
« Le progrès n’est pas une suite de soubresauts ni de coups de force. Non : c’est un phénomène de croissance sociale, de transformation, qui se produit d’abord dans les idées et descend dans les moeurs pour passer ensuite dans les lois. »
Jules FERRY (1832-1893), Chambre des députés, 7 mars 1883
Président du Conseil, il répond à Clemenceau le grand « tombeur de ministères », le turbulent leader radical qui demande l’ordre républicain dans son intégralité.
« Au nom d’un chauvinisme exalté, devrons-nous acculer la politique française dans une impasse et, les yeux fixés sur la ligne bleue des Vosges, laisser tout faire, tout s’engager, tout se résoudre sans nous, autour de nous, contre nous ? »
Jules FERRY (1832-1893), Chambre des députés, 7 avril 1881
Devenu président du Conseil, il défend l’intervention en Tunisie décidée par les députés, et qu’il a personnellement soutenue. La Tunisie devient protectorat français, le 12 mai 1881. L’expression « ligne bleue des Vosges » va revenir dans son testament et passer à la postérité. Cependant, conservateurs et radicaux s’entendent contre la politique coloniale de Ferry, également attaqué pour sa politique scolaire.
« Faire passer avant toute chose la grandeur du pays et l’honneur du drapeau. »
Jules FERRY (1832-1893), Chambre des députés, 30 mars 1885
La conquête de l’Indochine a commencé sous Napoléon III, et Ferry poursuit cette colonisation en Extrême-Orient. Par le traité de Hué (25 août 1883), l’empereur du Vietnam dut céder, au nord, le Tonkin devenu protectorat français. Le Chine voisine qui conteste ce traité, envahit le Tonkin : ses troupes, les « Pavillons noirs », se heurtent aux troupes françaises. Presque deux ans de sièges et batailles navales s’ensuivent.
Le 29 mars, les journaux ont appris l’attaque des Chinois à Lang-Son, ville du Vietnam sur la frontière chinoise (le 3 février), et la retraite du corps expéditionnaire français commandé par Herbinger, avec quelque 200 tués ou blessés. L’incident est démesurément grossi : on parle du « désastre de Lang-son » comme d’un second Waterloo et d’un nouveau Sedan. Les radicaux, groupés autour de Clemenceau, dénoncent la politique coloniale de Jules Ferry, surnommé pour l’occasion « Ferry-Tonkin » et même accusé de haute trahison pour avoir engagé des troupes, sans bien en informer les députés.
Ferry, président du Conseil, garde son calme et, le 30 mars, invoquant la grandeur du pays et l’honneur du drapeau, demande une augmentation des crédits pour envoyer des renforts au Tonkin. Il déchaîne des clameurs, à la gauche comme à la droite de l’Assemblée.
« Je désire reposer […] en face de cette ligne bleue des Vosges d’où monte jusqu’à mon coeur fidèle la plainte des vaincus. »
Jules FERRY (1832-1893), Chambre des députés, 30 mars 1885
Mort le 17 mars 1893, il reste dans l’histoire pour sa politique scolaire, mais aussi coloniale.
Ses derniers mots prouvent qu’il n’oubliait pas l’Alsace et la Lorraine perdues, alors même qu’il lançait la France à la conquête de la Tunisie et du Tonkin (Indochine, nord du Vietnam).
Mal compris, Ferry a pu voir relancée, à la fin de sa vie, une nouvelle colonisation prise en main par des politiques, des militaires, des hommes d’affaires : Indochine, Madagascar, Afrique noire, Maroc.
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