« Sûre, sociale, raisonnable, ce n’est plus la langue française, c’est la langue humaine. »1237
(1753-1801), Discours sur l’universalité de la langue française (1784)
Réforme de l’orthographe, un sujet qui fait et fera beaucoup parler : bonne occasion pour résumer (1) l’histoire de la langue française et (2) la langue dans l’histoire de France.
1782. L’Académie de Berlin met au concours un sujet révélateur : « Qu’est-ce qui fait de la langue française la langue universelle de l’Europe ? Par où mérite-t-elle cette prérogative ? Peut-on présumer qu’elle la conserve ? » Et Rivarol obtient le premier prix avec son Discours, clairement argumenté.
Rayonnements de la langue et de la civilisation d’un pays sont inséparables. Au XVIIIe siècle, la France a perdu sa suprématie militaire, mais sert toujours de modèle à l’Europe par sa littérature, ses Lumières, ses arts, ses modes, son élégance, son esprit. Frédéric II de Prusse, notre meilleur ennemi, parle français, correspond avec Voltaire, comme Catherine II de Russie avec Diderot. Des châteaux imités de Versailles naissent un peu partout, cependant que le style rocaille, dit rococo, typique de la Régence et du règne de Louis XV, répand ses contournements en Allemagne et en Italie.
Dans la bataille des idées nouvelles, la langue est une arme. Dans le monde, notre langue française arrivée à son point de perfection et parlée par toute la société « éclairée », répand la philosophie des Lumières.
Aboutissement d’une évolution linguistique de trois siècles, depuis la Renaissance.
« Notre langue étant pauvre et nécessiteuse au regard de la latine, ce serait errer en sens commun que d’abandonner l’ancienne pour favoriser cette moderne. »392
TURNÈBE (1512-1565)
La Littérature latine de la Renaissance (1966), Paul Van Tieghem
Humaniste et professeur au Collège de France (on dit alors : lecteur au Collège royal), il se bat pour le latin et le grec. Au XVIe siècle, quelque 700 poètes du royaume versifient en latin, la poésie néo-latine s’inspirant jusqu’au plagiat de Virgile, Horace, Catulle, Ovide, tandis que d’autres « pindarisent et pétrarquisent » à qui mieux mieux.
Querelle des Anciens et des Modernes, identité nationale déjà en jeu : Ronsard, le Prince des poètes, réunit une « Brigade » qui devient « Pléiade » et cette nouvelle école charge du Bellay de rédiger la Défense et illustration de la langue française (1549).
« Je prouverai […] que notre langue vulgaire n’est pas si vile, si inepte, si indigente et à mépriser qu’ils l’estiment. »393
François RABELAIS (vers 1494-1553), Le Cinquième Livre, prologue (posthume)
Rabelais se bat de son côté en franc-tireur de génie, avec sa langue bien à lui et bien française. Il s’adresse ici aux « rapetasseurs de vieilles ferrailles latines, revendeurs de vieux mots latins, tous moisis et incertains ». Turnèbe peut se sentir visé.
Médecin et moine (cordelier, puis bénédictin) né en Touraine, il est lancé en littérature par deux personnages de géants qu’il a créés, d’abord Pantagruel (le fils), puis Gargantua (le père).
Curieux de tout et libre-penseur comme tant d’humanistes de la Renaissance, passionné de grec et de latin, il prône l’usage du français qui deviendra au XVIe siècle la langue nationale - le français parlé en Touraine étant réputé le plus pur. Mais Rabelais bouscule notre langue, l’enrichit de formules et de néologismes tout en empruntant au grotesque gaulois et à la farce médiévale, mélange allègrement les genres littéraires, joue avec les mots et invente le « rire rabelaisien », obscène et provocateur au point d’être censuré et condamné par l’Église.
Coluche et Charlie Hebdo sont les héritiers de ce génie comique.
« Ce n’est point chose vicieuse, mais grandement louable, emprunter d’une langue étrangère les sentences et les mots, et les approprier à la sienne. »481
Joachim du BELLAY (1522-1560), Défense et illustration de la langue française (1549)
Poète de la Pléiade, le voilà chargé par Ronsard de rédiger ce manifeste littéraire à la fois touffu et belliqueux. Le titre résume le propos : « défense » de la langue française contre le latin qui reste, sauf exception, la langue des savants et des lettrés, mais en même temps « illustration », c’est-à-dire enrichissement de cette langue. « [Nos ancêtres] nous ont laissé notre langue si pauvre et nue qu’elle a besoin des ornements et, (s’il faut ainsi parler) des plumes d’autrui. »
Le XVIe siècle voit peu à peu triompher un français en pleine évolution, le XVIIe siècle va le fixer et le rendre « classique », le XVIIIe en fera la langue universelle. Une époque révolue.
« Parlez-vous franglais ? »2958
René ÉTIEMBLE (1909-2002), titre d’un essai (1964)
Ce linguiste promeut le mondialisme littéraire comme traducteur, critique, directeur de collection et universitaire, encourageant les échanges avec les écrivains et intellectuels de tous les pays, et l’accueil des étudiants étrangers.
Mais dans cet essai « best-seller », même si le mot lui déplaît, il lutte contre la colonisation langagière qui met en péril le français dans l’hexagone et la francophonie dans le monde. L’anglais, porte-parole de la civilisation anglo-saxonne, gagne irrésistiblement du terrain. Dans la publicité, dans le numérique et toutes les nouvelles technologies, dans la vulgarisation scientifique, il étend sa domination, face à 274 millions de francophones (statistiques de 2014).
Et voilà qu’on annonce un immense marché à venir, 800 millions de francophones en 2050, grâce à la démographie de l’Afrique. Histoire à suivre.
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