« L’homme est né libre et partout il est dans les fers. »1039
(1712-1778), Du contrat social, Préambule (1762)
Il méditait depuis longtemps de livrer le message de son idéal politique et le Contrat social deviendra le « livre de la loi » de la Révolution. Lecture parfois ardue, mais leçon toujours profitable.
Pour commencer, l’auteur constate l’échec des sociétés modernes avec l’aliénation de l’homme, puis enchaîne aussitôt : « Comment ce changement s’est-il fait ? Je l’ignore. Qu’est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette question. »
Impossible, car irréaliste et dangereux, de revenir à l’état de nature : on ne remonte pas le temps, contrairement à ce qu’ont voulu lui faire dire ses ennemis, caricaturant sa pensée pour mieux la condamner.
Il faut donc élaborer un compromis délicat, pour concilier les lois de la nature et les lois sociales, et garantir égalité et liberté aux hommes. C’est substituer un nouveau contrat social au premier si injuste : « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même, et reste aussi libre qu’auparavant. Tel est le problème fondamental dont le Contrat social donne la solution. »
« Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède. »1041
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social (1762)
La liberté naturelle n’a pour bornes que les forces de l’individu (c’est la loi du plus fort), alors que la liberté civile est limitée par la volonté générale. La possession n’est que l’effet de la force ou du droit du premier occupant, alors que la propriété ne peut être fondée que sur un titre positif.
Enfin, dans la mesure où les citoyens adhèrent librement au pacte social, la liberté est respectée, car « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».
« Si l’on recherche en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation, on trouvera qu’il se réduit à deux objets principaux, la liberté et l’égalité. »1046
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social (1762)
À l’inverse de Montesquieu et Voltaire, Rousseau subordonne la liberté à l’égalité politique, voire économique, et à la souveraineté de la nation.
Les révolutionnaires le porteront au Panthéon (1794) après une pétition faisant de lui le « premier fondateur de la Constitution française » parce qu’il a « établi en système l’égalité des droits entre les hommes et la souveraineté du peuple ». Encore une notion nouvelle, voire révolutionnaire, longuement détaillée dans le Contrat social et souvent invoquée, dans les siècles suivants.
« La souveraineté n’étant que l’exercice de la volonté générale ne peut jamais s’aliéner, et le [peuple] souverain, qui n’est qu’un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même ; le pouvoir peut bien se transmettre, mais non la volonté. »1043
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social (1762)
C’est clair et redit plusieurs fois : « La volonté ne se représente pas. » Selon Rousseau, le peuple souverain ne saurait déléguer à des représentants le pouvoir de faire des lois à sa place : la volonté générale doit s’exprimer directement. Principe inapplicable dans un pays peuplé de millions d’habitants, ce qui fera dire à Sieyès que Rousseau est un « philosophe aussi parfait de sentiment que faible de vues ».
De façon plus réaliste, Rousseau charge l’exécutif (prince ou gouvernement) d’appliquer les lois, mais il reste à tout moment révocable.
La souveraineté du peuple sera proclamée dès la Constituante en 1789, associée au principe de représentativité. Robespierre parvenu au pouvoir invoquera sa méfiance pour la représentation, chaque fois que l’Assemblée ne lui semble pas « marcher dans le sens de la Révolution ». L’épilogue vaut leçon de l’Histoire : la dictature jacobine de la nouvelle gauche n’est pas moins dangereuse que l’absolutisme de l’ancienne monarchie.
« Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. »1044
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social (1762)
Principe de la ratification populaire des lois, l’une des rares idées rousseauistes précises, apportée à la Révolution et adoptée par la Constitution de 1793. Elle lui survit par ailleurs, dans des cas bien définis.
Le plus souvent chez Rousseau, l’inspiration est au niveau de principes aussi généraux que généreux, servant de référence à des politiques contradictoires. N’est-ce pas là le destin politique de bien des idées philosophiques et théoriques !
« Tant qu’un peuple est contraint d’obéir et qu’il obéit, il fait bien ; sitôt qu’il peut secouer le joug et qu’il le secoue, il fait encore mieux. »1047
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social (1762)
C’est le droit à l’insurrection, et même le devoir, quand le contrat social est violé. Il sera reconnu une seule fois, dans l’éphémère Constitution de 1793.
L’historien et philosophe Edgar Quinet l’a clairement dit, le Contrat social est le « livre de la loi » de la Révolution et Rousseau » est lui-même à cette Révolution ce que le germe est à l’arbre ».
Moins théoricien et plus humain, un autre Rousseau existe, ce Jean-Jacques qui nous parle encore.
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