« La nature a fait l’homme heureux et bon, mais […] la société le déprave et le rend misérable. »1035
(1712-1778), Dialogues : Rousseau juge de Jean-Jacques (1772-1776)
Ce postulat fonde toute son œuvre politique, pédagogique, morale, religieuse, romanesque.
On le trouve dès 1750 dans le Discours sur les sciences et les arts : « Nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection. » Il récidive avec sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758) qui dit les dangers du théâtre en général et de Molière en particulier, « école de mauvaises mœurs ». Rousseau en fait aussi tout un roman par lettres, « best-seller » du temps (plus de 70 éditions en quarante ans), hymne à la nature, la vertu et la passion : Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761).
Ce « barbare » qui dénonce le faux progrès de la civilisation des Lumières heurte tous les autres philosophes !
« J’ose presque assurer que l’état de réflexion est un état contre nature et que l’homme qui médite est un animal dépravé. »1036
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)
C’en est trop. Cette petite phrase va, naturellement, faire réagir Voltaire, vivement : « J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain… On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. » Lettre à Jean-Jacques Rousseau, 30 août 1755.
Quelle provocation lancée à ce siècle épris de raison et à tous ses confrères qui font métier de penser ! Mais le Discours sur l’inégalité est un brûlot dangereux à bien d’autres égards, pour la société de l’Ancien Régime, fondamentalement inégalitaire. Son traité sur l’éducation, autre œuvre majeure, est également révolutionnaire à sa manière.
« Il n’y a qu’une science à enseigner aux enfants, c’est celle des devoirs de l’homme. »1050
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), L’Émile ou De l’Éducation (1762)
Pas de société saine sans des hommes sains. Idéal pédagogique : préserver la liberté naturelle de l’enfant. Rousseau, qui doit beaucoup au sage Montaigne, s’inspire aussi de son expérience d’autodidacte : « L’essentiel est d’être ce que nous fit la nature ; on n’est toujours que trop ce que les hommes veulent que l’on soit. »
Immense succès de ce traité sur l’éducation : des mères se mettent à allaiter leurs enfants, on cesse d’emmailloter les nouveau-nés comme des momies et d’imposer les baleines aux corps des petites filles.
Cette « régénération » morale profite aussi aux esprits : « Il me semble que l’enfant élevé suivant les principes de Rousseau serait Émile, et qu’on serait heureux d’avoir Émile pour son fils », dira Mme de Staël en 1788.
Moins heureux furent les cinq enfants de Rousseau et Thérèse Levasseur, abandonnés aux Enfants trouvés. C’est clairement une ombre portée sur l’homme, même ses défenseurs doivent en convenir. Quand Voltaire écrit son Traité sur la tolérance, il s’engage intellectuellement et se bat durant trois ans pour obtenir la réhabilitation de Calas, victime d’une erreur judiciaire. Voilà pourquoi Voltaire, courtisan et privilégié, est paradoxalement plus populaire que Rousseau.
« La femme est faite pour céder à l’homme et pour supporter même son injustice. »1051
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), L’Émile ou De l’Éducation (1762)
Peut-on parler d’une ombre à la philosophie des Lumières, dans un siècle où les femmes, reines en leurs salons littéraires, ont aussi une influence dans la politique et l’art ? Sans doute.
Et Rousseau précise : « Toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, et ce qu’on doit leur apprendre dès l’enfance. » Bref, la petite Sophie ne partira pas avec les mêmes chances dans la vie que le petit Émile !
Malgré tout, le bilan de Rousseau est positif, sur le plan social aussi bien que politique. Dernier témoignage à décharge d’un éminent encyclopédiste, Condorcet.
« Si les corps des enfants ne sont plus oppressés par des ressorts de baleine, si leur esprit n’est plus surchargé de préceptes, si leurs premières années du moins échappent à l’esclavage et à la gêne, c’est à Rousseau qu’ils le doivent. »1193
Marquis de CONDORCET (1743-1794), en 1774
Lettres d’un théologien, Œuvres complètes de Condorcet, volume X (1804)
Disciple des physiocrates, auteur de plusieurs articles d’économie politique dans l’Encyclopédie, ce philosophe et mathématicien, qui va jouer un rôle politique sous la Révolution, rend ainsi hommage à l’auteur de l’Émile (publié en 1762).
Les idées des philosophes parfois ont changé la vie, avant de révolutionner la France.
Lire aussi :
- Robespierre : « Personne ne nous a donné une plus juste idée du peuple que Rousseau, parce que personne ne l’a plus aimé. »
- Rousseau : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers. »
- Notre Chronique consacrée au siècle des Lumières (livre électronique)
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