Révolution
Portrait de quatre révolutionnaires
Mirabeau et Danton, Marat et Robespierre.
Les quatre personnages (avec leurs idées) se révèlent également au fil de l’histoire.
La Révolution crée ses propres héros et les sacrifie volontiers sur l’autel de la patrie, comme aucune autre période de l’Histoire ! On l’a comparée à Saturne dévorant ses enfants.
Les commentaires sont allégés, les coupes signalées (…) Retrouvez l’intégralité dans nos Chroniques de l’Histoire en citations.
Honoré Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau
« Ton neveu est laid comme celui de Satan. »1290
(1715-1789), Lettre à son frère
Les Mirabeau : Nouvelles études sur la société française au XVIIIe siècle (1889), Louis de Loménie.
Mirabeau père fait cet aveu à l’oncle de Mirabeau le révolutionnaire. Physiocrate connu, surnommé l’ami des hommes, ce père déteste son fils, très mauvais sujet. Il le force à entrer dans l’armée, puis multiplie procès et lettres de cachet, pour le faire enfermer, exiler.
« On ne connaît pas la toute-puissance de ma laideur. Quand je secoue ma terrible hure, il n’y a personne qui osât m’interrompre. »1291
MIRABEAU (1749-1791). Mirabeau (1891), Edmond Rousse
Ce physique impressionne les contemporains. Il en joue, il trouve belle cette laideur, avec ses traits marqués, criblés de petite vérole. Il soigne sa toilette, porte une énorme chevelure artistement arrangée (…) Il cultive son personnage. La puissance du verbe et la solidité de la pensée servent également le tribun.
« La nature semblait avoir moulé sa tête pour l’Empire ou pour le gibet, taillé ses bras pour étreindre une nation ou pour enlever une femme. »1292
François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)
Mirabeau connut la gloire et évita le gibet – il meurt dans son lit, épuisé par une vie d’excès. Il souleva le peuple par ses talents d’orateur et multiplia les conquêtes féminines.
« Voyez ce Mirabeau qui a tant marqué dans la Révolution : au fond, c’était le roi de la halle. »1293
Joseph de MAISTRE (1753-1821), Considérations sur la France (1797)
Mirabeau, rejeté de son ordre (la noblesse), élu député par le tiers état aux États généraux, mêle plus que quiconque les attributs de la naissance et de la bohème. Selon François Furet : « Du rejeton le plus méprisé de l’ancienne noblesse, la Révolution a fait le personnage le plus brillant de l’Assemblée constituante. »
« Mirabeau (le comte de). – Ce grand homme a senti de bonne heure que la moindre vertu pouvait l’arrêter sur le chemin de la gloire, et jusqu’à ce jour, il ne s’en est permis aucune. »1294
RIVAROL (1753-1801), Petit Dictionnaire des grands hommes de la Révolution (1790)
Dans le même savoureux petit livre et avec le même esprit : « Mirabeau est capable de tout pour de l’argent, même d’une bonne action. » Avant la Révolution, Mirabeau vendait sa plume (et ses idées) comme publiciste à gages ; il vendra ensuite ses services - très cher - au roi et à la reine (…) accusé de trahison par certains députés.
Georges Jacques Danton
« Danton fut l’action dont Mirabeau avait été la parole. »1295
Victor HUGO (1802-1885), Quatre-vingt-treize (1874)
On l’appelait « le Mirabeau de la populace ». Comme Mirabeau, Danton, c’est une « gueule », un personnage théâtral. Mais contrairement à Mirabeau, « Danton, comme Robespierre et Marat, est une création de la Révolution. Il jaillit de l’immense événement sans aucun préavis » (Mona Ozouf).
« Avec un tempérament de boucher, il a un cœur d’homme […] Avec les emportements d’un clubiste, il a la lucidité d’un politique. »1296
Hippolyte TAINE (1828-1893), Les Origines de la France contemporaine, tome III, La Révolution : la conquête jacobine (1881)
L’historien précise le portrait de Danton : « Il n’est pas dupe des phrases ronflantes qu’il débite, il sait ce que valent les coquins qu’il emploie ; il n’a d’illusion ni sur les hommes, ni sur les choses, ni sur autrui, ni sur lui-même. »
« Tes formes robustes semblaient déguiser la faiblesse de tes conseils. »1297
SAINT-JUST (1767-1794), réquisitoire contre Danton
(…) Après son rôle dans les massacres de septembre (1792), la création du Tribunal révolutionnaire et du Comité de salut public, Danton prend ses distances avec cette Révolution déchaînée. Il fait figure d’« indulgent » aux yeux de Robespierre et de Saint-Just : un crime, sous la Terreur, il en mourra sur l’échafaud, avec ses amis.
« L’audace sur le front, le rire de la débauche sur les lèvres, la férocité de son visage dénonce celle de son cœur ; il emprunte inutilement de Bacchus une apparente bonhomie et la jovialité des festins ; l’emportement de ses discours, la violence de ses gestes, la bestialité de ses jurements le trahissent. »1298
Mme ROLAND (1754-1793), Mémoires (posthume)
Ce texte, écrit dans la prison de l’Abbaye en 1793, comporte une part de vérité. Mais Mme Roland déteste viscéralement Danton, l’ennemi politique de son mari et de tous les Girondins emprisonnés en attendant la mort.
« Danton a cette qualité si précieuse que n’ont jamais les hommes ordinaires : il ne hait ou ne craint ni les lumières, ni les talents, ni la vertu. »1299
Marquis de CONDORCET (1743-1794). Œuvres de Condorcet (posthume), Fragments de justification (texte inachevé)
Autre façon de justifier l’indulgence de Danton, jugement plus favorable au personnage – et pourtant, le témoignage est signé d’un Girondin. En fait, Danton est très difficile à cerner, très changeant, très humain. N’a-t-il pas dit : « Qui hait les vices hait les hommes » (…) définition de l’indulgence qui l’oppose à Robespierre.
« Si de Rousseau vint Robespierre, “de Diderot jaillit Danton”. »1300
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-huitième siècle, Louis XV, citant Auguste COMTE (1798-1857)
Il montre l’influence des philosophes du siècle des Lumières sur les révolutionnaires. Elle est évidente, mais chacun a le sien. La richesse, la diversité, la complexité de Diderot, homme de tous les paradoxes, devaient naturellement plaire à Danton – et repousser l’intransigeant Robespierre.
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