La vraie révolution de cette Deuxième République, c’est le pouvoir au peuple avec le vote au suffrage universel (masculin). La France de 1848 est-elle prête à cette démocratie sans autre exemple ? Malgré l’enthousiasme initial et les chansons, la suite de l’Histoire en citations va démontrer que non, en quelques mots et quelques mois.
« Le monde a la démarche d’un sot, il s’avance en se balançant mollement entre deux absurdités : le droit divin et la souveraineté du peuple. »2159
(1797-1863), Journal d’un poète (posthume)
Élevé dans une famille de vieille noblesse avec le culte de la monarchie de droit divin, écorché vif depuis sa naissance par les bouleversements de la société, Vigny s’est pris d’enthousiasme pour la Révolution de 1848 et s’est présenté à la députation en Charente, le 23 avril 1848. Il obtient si peu de voix que cet échec politique le rend de nouveau amer.
Ses confrères ont plus de chance : héros de cette jeune République en marche, Lamartine triomphe (dans dix départements, avec 1 600 000 voix !) et Hugo est bien élu. Chateaubriand, octogénaire à demi paralysé, retiré de la vie politique, mourra en juillet. Musset, bien que plus jeune, ne va pas bien et ne se présente pas non plus. Tocqueville l’historien est élu. Michelet vibre pour la révolution, mais milite par ses cours d’histoire et son œuvre engagée.
Quant à la souveraineté du peuple… Sans préparation, sans transition, le nouveau régime substitue aux intérêts de la bourgeoisie, classe dirigeante, les sentiments et les passions du peuple. Pas de géant vers la démocratie, le suffrage universel est « politiquement une surprise ; psychologiquement une anticipation ; techniquement une inconnue », selon le grand juriste et constitutionnaliste Marcel Prélot (député et sénateur sous la Quatrième et la Cinquième Républiques).
Toutes les citations qui suivent
sont commentées dans nos Chroniques.
« Désormais, le bulletin de vote doit remplacer le fusil. »2156
M. L. BOSREDON (XIXe siècle)
La France, comme en 1792, est le premier État du monde à s’engager dans cette voie. D’autres pays européens vont l’imiter, mais l’échec des révolutions de 1848 en reportera l’application à plus tard. On passe de 250 000 électeurs (suffrage censitaire) à plus de 9 millions. Il y aura 86 % de votants. C’est dire l’enthousiasme.
« Tout Français est électeur, / Quel bonheur ! moi, tailleur, / Toi, doreur, lui, paveur,
Nous v’là z’au rang d’homme […] / Faut savoir c’qu’on nomme.
Sachons bien, sachons bien / Élire un homme de bien,
Craignons bien, craignons bien / D’prendre un propre à rien. »2157Eugène POTTIER, Le Vote universel (1848)
On reconnaît déjà la « fibre politique » de l’auteur rendu célèbre par L’Internationale. Le peuple chante le rétablissement du suffrage universel, le 5 mars 1848. Fin des abus du régime censitaire, mais début d’une course aux suffrages qui va défavoriser la gauche. Le principe n’en reste pas moins très populaire.
« Au clair de la lune, / Brave citoyen, / Thiers cherche fortune, /Tu le connais bien.
Il est sans-culotte, / Il en fait l’aveu. / Donne-lui ton vote / Pour l’amour de Dieu. »2167La Candidature du citoyen Thiers en 1848, chanson nouvelle en 9 couplets, signée « Le Révélateur impartial »
La campagne bat son plein et la chanson (anonyme) dénonce ce politicien arriviste, élu aux élections complémentaires de juin 1848, qui accentuent le conservatisme de l’Assemblée. Plus surprenant, Louis-Napoléon Bonaparte qui ne se présentait pas est élu dans 4 départements sur la seule force de la légende napoléonienne, ravivée par Hugo.
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